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Les Calotins célèbres

Les calotins célèbres

Ne vantez plus votre origine,

Montmorency et Châtillon,

Cédez à la gent calotine

L’antiquité d’extraction.

Avant la création du monde

Il fut au ciel des calotins

Et cette race si féconde

A devancé tous les humains.

L’on vit, si l’on en croit Moïse,

À Lucifer par vanité

Faire la première sottise,

Même avant qu’Adam fût créé.

Bientôt après, le premier homme,

Par Ève adroitement flatté,

A perdu sa postérité

Pour avoir mangé d’une pomme ;

Esaü pressé par la faim

Vend à Jacob pour des lentilles

Son droit d’aînesse ; un tel dessein

Ne fut-il pas des plus habiles ?

Qu’il soit donc enrôlé soudain

Parmi nos nombreuses quadrilles [sic] ;

Orphée au ténébreux manoir

Poussé d’un amoureux caprice,

De Pluton obtint le pouvoir

De ramener son Eurydice ;

Mais par un trait de calotin,

Bientôt dégoûté de sa belle,

En s’en revenant avec elle

Il la laissa par le chemin ;

Ulysse, quoiqu’en dise Homère,

Entrera dans le Régiment

Pour avoir cru trop sottement

Sa Pénélope très entière

Au milieu d’un nombre d’amants

Qui faisaient chez lui bonne chère,

Pendant qu’à la merci des vents

Il voltigeait sur l’onde amère ;

À vous, la perle des maris,

Ménélas, qui prenez la peine

D’armer les Grecs contre Pâris,

Le tout pour l’infidèle Hélène,

Dans la troupe du dieu Momus

Vous méritez bien une place,

Car vous avez rompu la glace

À tous les malheureux cocus.

Et toi, voluptueux Romain,

Qui pour la belle Cléopâtre

Dont tu te rendis idolâtre,

Perdit l’empire souverain,

N’es-tu pas un sujet bien digne

De cet illustre Régiment

Puisqu’une telle calotine

Te fit faillir si lourdement ?

Caligula qui servit d’homme

À ses trois sœurs avant quinze ans,

Allait faire un consul de Rome

De son cheval par passe-temps,

Dans la légende marotine

Peut à bon droit être placé,

Lui qui, d’un esprit bien sensé

Se crut créature divine.

Néron n’eut-il pas la manie

De passer pour comédien

Poète, auteur, musicien

Et triomphateur de l’Asie ?

Voilà les chefs de la Calotte

Qui, dans des siècles reculés,

Ont su par des faits signalés

Immortaliser la marotte.

Si les anciens ont su briller,

Nos modernes, prenant leurs places,

Espèrent de les surpasser

par leur mérite et leur audace.

Jean est à peine hors de prison

Qu’il s’en retourne en Angleterre ;

À tous il cache la raison

Qui lui fait chérir cette terre,

Mais un auteur contemporain

Dit qu’il voulut faire un vulcain.

Charles VII que l’on crut si sage,

De mets qu’il avait à foison

Ne voulant faire aucun usage

Expira d’inanition.

Louis, si fin et si rusé,

Sut mettre les rois hors de page,

Mais craignant d’être détrôné

À Tours se met lui-même en cage.

Ainsi qu’un simple aventurier

Sous les auspices de Bellone,

Son fils sans maille ni denier

Veut conquérir une couronne ;

À Fornoue il fait du fracas

Et s’en revient à très grands pas.

Oh, la belle calotinade

Que fit le roi François Premier

Quand il fut avec sa brigade

Devant les canons se poster.

S’il combattit, notre bon sire,

Devant Pavie en grenadier,

Dans la bataille au commun dire

Il ne fit que calotiner.

Charles veut traverser la France

Malgré ses manquements de foi,

Il se croit en pleine assurance

Sur la parole d’un grand roi ;

Une bague de ce danger

Le sut adroitement tirer.

Henri second fut calotin,

Et calotin à triple étage

Pour avoir le dessein en main

De faire un superbe étalage

De son savoir à bien jouter,

Car en ce jeu dans la visière

Il reçut un coup meurtrier

Qui le renversa dans la bière.

La belle reine de Navarre,

Très libérale au jeu d’amour,

À ses créanciers très avare,

Sera brevetée à son tour,

Car aimant le calotinage

Elle consent sans résister,

En bref, à son démariage

Afin de mieux calotiner.

Jacques Stuart perdit son royaume,

Quand par la crainte de Guillaume

Il vint en France demeurer ;

Qu’il soit donc mis dans la Calotte

Avec son sceptre de marotte

Qu’il ne sait pas emmailloter

Parmi notre gent qui foisonne.

Nous aurions Phlippes1 inscrit

Dans ce burlesque et rare écrit,

Si, reprenant tôt la couronne

Qu’il avait trop vite quittée,

Il n’eût par ce trait magnanime

Et par un trait des plus sensés

Imposé silence à ma rime.

Ce n’est qu’un faible échantillon

Des grands sujets de la Calotte ;

Car les nommer tous par leur nom,

Le puissant dieu de la Marotte

N’aurait pas assez de papier

Pour en faire un calendrier.

  • 1Philippe V, roi d'Espagne, qui abandonna sa couronne et la reprit.

Numéro
$4363





Références

F.Fr.9353, f°299v-302r - F.Fr.15017, f°167r-173r  -Lille BM, MS 65, p. 375-85