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La Tiriolade, ou Complaintes du Sr. Tyriot, sur la déloyauté de son ami Voltaire

La Tiriolade ou Complainte du Sr. Tiriot
sur la déloyauté de son ami Voltaire
On nous vante l’affection
De Socrate et d’Alcibiade,
D’Alexandre et d’Ephestion,
Celle d’Oreste et de Pylade.
Je veux bien croire que jadis,
Jusqu’au temps des Amadis,
L’amitié régna chez les hommes ;
Mais au siècle dur où nous sommes,
Depuis que l’aveugle Plutus
Sous son joug les tient abattus,
Les amis aisément se brouillent ;
Les cœurs que mille vices souillent,
Les cœurs ne le connaissent plus ;
Ou si quelquefois dans une âme
Elle fait pénétrer sa flamme,
On l’étouffe dans peu de jours
Et dure moins que nos amours.
Pour moi, je l’ai toujours servie,
Je l’aurais fait toute ma vie
Si l’on ne m’eût manqué de foi.
Je l’ai cru constant comme moi,
L’injuste ami qui l’a trahie,
Plus légère que l’onde et le vent.
Et qui voudrait dorénavant
Se fier à cet infidèle
Quand on saura qu’il m’a quitté ?
Moi, qui plein d’ardeur et de zèle,
Et des amis nouveau modèle,
Ai partout ses vers récité
Et son poème débité1 .
Moi, qu’on voit dans une préface
Le martyr de ses envieux,
Peint sous des traits injurieux
Qu’a formé la jalouse audace,
Si ressemblants et si parfaits
Que le temps par qui tout s’efface
Ne les effacera jamais.
Aux dépens même de ma gloire,
Lui prostituant ma mémoire
Et trahissant la vérité,
Ne l’ai pas toujours vanté ?
Brochât-il le plus long ouvrage,
Tout aussitôt, page pour page,
Son Achate l’avait appris.
J’allais en étourdir Paris.
Je semblais en être le père,
Tant sa louange m’était chère.
Ainsi l’on sait qu’il a des traits
Qu’entre nous deux nous avons faits,
Et que mes avis salutaires
Ne gâtaient rien à nos affaires.
Ce n’est pas que les vers pillés
Et la façon dont il affronte
Les auteurs qu’il a dépouillés
Ne m’ait cent fois couvert de honte ;
Mais bonne mine à mauvais jeu,
Toujours avec le même feu
De ses vers j’ai pris la défense.
Contre quiconque en eût raillé,
Tant soit peu même sourcillé,
J’aurais rompu plus d’une lance
Et me battant à toute outrance
Au Veillaque fait avouer
Qu’étant le seul poète en France,
C’était le seul qu’on dût louer.
On a cru que pour récompense
D’une si grande affection,
Sa libérale bienveillance
Me partageait sa pension.
Ah vraiment, c’est bien lui qui donne !
Je n’en tâterai seulement
Que quand son ardente personne,
Avec l’éclat qui l’environne,
S’éteindra dans le monument.
Son aversion retenue
Par un faible respect humain,
Étant seuls, éclate à ma vue.
Dieu sait jusqu’où va son dédain ;
Quand on nous voit, il dissimule,
Et par des discours pleins de miel,
Abusant le public crédule,
Cache son aigreur et son fiel.
Amitié toujours attestée
Et si peu souvent contractée,
Qui peux seule nous rendre heureux,
Déesse, exauce ma prière ;
Que l’ingrat qui brise tes nœuds,
Ne puisse une semaine entière
Captiver des cœurs généreux.
Que vois-je ? À la Salpétrière
Tu cours lui chercher un ami.
Ta main, renversant la barrière,
Confond l’imposture grossière
Sous qui l’innocence a gémi.
Est-ce donc dans cette contrée
Qu’avec la vertu retirée
Tu lui formes de vrais amis ?
Ah ! de leurs cœurs bientôt bannie,
Amitié, tu seras punie
D’avoir pour eux trop entrepris.
De tes bontés reçois le prix ;
Vois dans leurs âmes inconstantes
Déjà cent discordes naissantes.
Je connais leurs traits dangereux,
Leur pétulance, leur caprice,
Et du soin de leur bon supplice
Je me fie aux cœurs de tous deux.

 

  • 1Lesage, Fuzelier et d'Orneval dans le Temple de mémoire (Foire Saint-Laurent, 1725) appellent Thieriot « Monsieur Prône-vers ».

Numéro
$4148





Références

1735, IV,21-24 - 1752, IV,17-21 - Arsenal, 3128, f°301r-303r - Lille BM, MS 65, p.485-91