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La calotte du public, élu juré-priseur des brevets du Régiment

La Calotte du Public,

élu juré-priseur des brevets du Régiment1

Le Chef d’une hache entamé2 ,
À ses membres courant les rues3 ,
Salut et quintes. Notre amé
Et féal faiseur de recrues,
Apollon, autre fou pommé,
Se plaint à nous et nous remontre
Qu’il ne chante plus qu’à son dam4  ;
Et qu’à chaque pas il rencontre
Pour censeur un certain quidam,
Prisant toute chose à la montre,
Hardi donneur de camouflet,
Grand ami du pour et du contre,
Bien atteint du coup de giblet.
En tout n’ayant le sens d’une oie,
Juge à la façon de Bridoye,
Frappé d’aveuglement complet,
Et jouant, pour l’auteur qu’il morgue,
Du plat des mains ou du sifflet,
Comme un Savoyard de son orgue.
Ouï le rapport fait du tic
De ce quidam nommé Public ;
Vu les fatras et tragédies
Par lui sur la scène applaudies,
Monuments de ses quiproquos ;
Vu la foire5 et des rapsodies ;
Vu Samson6 , Amasis7 , Ino,
La Sylphide, les parodies,
Et des spectacles8 le Trio ;
Vu le jeu baroque et maussade
De la troupe de Lélio,

Chétif et pitoyable écho
De Collèges et de Parade ;
Vu les gagistes de Ponto9  ;
La Legrand10 et sa mascarade11 ,
Reste froid d’un vieux vertigo ;
Vu le Tambourin, la gambade,
Et le cul de la Camargo12 .
Tout cela traité de merveille,
Et couru comme des gratis ;
Pendant qu’on laisse a remotis
Racine, Molière et Corneille.
Sur l’l'infortune sans pareille13 ,
Dont gémit le Consul romain14 ,
Claqué, bien reclaqué la veille,
Et déserté le lendemain ;
Tandis que des mêmes bévues
Le Roi d’Égypte a profité15 ,
Et, qu’à bas dans sa nouveauté,
Vingt ans après, il monte aux nues16 .
Bien informé que les chalands,
Tous les mois, toutes les semaines,
Savourent, comme succulents,
Les riens des Mercures Galants,
Les moins que rien de Desfontaines17 .
Tout mûrement considéré,
Ledit public est déclaré,
Sur un goût de telle excellence,
Calotin tout des plus parfaits.
Le proclamons, en conséquence,
Juré priseur de nos brevets.
Entre sa tête de linotte,
Et le dessous de son bonnet,
Posons calotte sur calotte,
Autant qu’en met bas Dom Japhet18 .
Et, pour que l’attribut s’ajuste,
Au renom qu’il a d’être juste,
Voulons qu’en sa main pour hochet
Soit une balance inégale,
Un des bassins pris à la halle,
L'autre d'un petit trébuchet.
Lui commandons, pour notre gloire,
De hanter, loin du sens commun,
Deux mauvais lieux, qui n’en font qu’un,
Les Italiens et la Foire.
Pour les Français19 , malgré leurs soins,
Sous peine d’un grelot de moins,
Et de quelques grains d’ellébore20 ,
Mépris constants lui soient enjoints,
Non que chez eux sur certains points
Notre pavillon ne s’arbore ;
Mais c’est qu’on sait qu’en bien des coins,
Le bon goût s’y tapit encore.
Au reste, pour gage il aura
Des balivernes d’Opéra,
De la Foire les fariboles,
Des petits Princes de Noisy21 ,
Des chimères de têtes folles,
Les rêves de Romagnesi22 ,
Et d’Arlequin les caprioles23 .
Donné dans le plus grand château,
Que nous possédions en Espagne,
À la veille du renouveau,
Temps où les Rats sont en campagne.
Signifié dans le moment,
Par humble, discret et sage homme,
Martin Dumont24 , qu’ici l’on nomme
Juré-crieur du Régiment.

 

  • 1Autre titre : Calotte de juré priseur des brevets du Régiment en faveur du public, pour M. de V*** en 1731 (Voltariana, p.)
  • 2Momus (Piron)
  • 3Le public. (Piron)
  • 4Depuis un an, tout ce qu'on donnait de mieux aux Français tombait, et les misères qu'on jouait aux Italiens réussissaient. (Piron)
  • 5Où l'on courait (Piron)
  • 6De Romagnesi (Piron)
  • 7De La Grange. (Piron)
  • 8Les trois spectacles. Une comédie en un acte, une tragédie en un acte, un opéra en un acte, ambigu d'un nommé d'Eguebaire et très mauvais. (Piron)
  • 9Ponto, entrepreneur de l'Opéra-Comique, dont la troupe était misérable. (Piron)
  • 10La Le Grand, fille de Le Grand, comédien et auteur de petites pièces de bas comique, entre autres L'Impromptu de la Folie ou La Française-Italienne. La fille de cet auteur jouait l'Arlequin et contrefaisait le fameux Thomassin. La singularité et l'indécence de ce rôle eurent un succès prodigieux. (Piron)
  • 11 et sa camarade.
  • 12Le Tambourin de Jephté, où la Camargo faisait des sauts à laisser tout voir. (Piron)
  • 13l'injustice
  • 14Le Brutus de M. de Voltaire, que sa cabale soutint à la première représentation et fut obligée d'abandonner à la seconde. (Piron)
  • 15Amasis de Lagrange, dont la reprise alors triomphait; quoique, dans sa nouveauté, la pièce n'eût pas été plus heureuse que, depuis vingt ans, l'était l'impression. (Piron)
  • 16A la reprise, il monte aux nues.
  • 17Feuilles hebdomadaires de ce temps ; et c'est ici l'origine de la mauvaise humeur de cet Abbé contre moi qu'il avait pincé déjà plus d'une fois. (Piron)
  • 18Dom Japhet, se croyant sourd, en ôte trente ou quarante de taffetas. (Piron)
  • 19Les Comédiens Français. (Piron)
  • 20Et même d’un peu d’ellébore.
  • 21Pièce du sieur d'Eguebaire. (Piron)
  • 22Comédien italien, auteur de plusieurs scenario. (Piron)
  • 23Thomassin ne pouvait sortir du théâtre sans qu'on ne lui criât: La Capriole. Il fallait, bon gré mal gré, qu'il la fît. (Piron)
  • 24Il avait été porte-manteau du Roi; il était grand brailleur au café de Procope et s'était plus d'une affaire par ses indiscrétions. (Piron) Les autre occurrences portent: Aymon

Numéro
$4116


Année
1730

Auteur
Piron



Références

1732/1735, III,103-106 - 1752, III,103-06 - F. Fr.10476, f°91-92 - F.Fr.12785, f°201r-202v - F.Fr.15014, f°65r-68r -Parodie de la chanson des Eveillés de Poissy sur M. Pâris

102-09 - F.Fr.25570, p.609-12 - Nouv.Acq.Fr. 2485, f°17r-18r et f°101r-102v - Arsenal, 3359, p.321-25 - BHVP, MS 602, f°276r-277v - BHVP, MS 664, f°270r-273v - Mazarine, MS 4035, Pièce 27 - Mazarine, 3971, p.416-23 - Chambre des députés, MS 1441, f°93 - Bordeaux BM, MS 700, f°461v-464v - Lille BM, MS 64, p.486-92 - Piron, OC, t.IX, p.25-29 - Voltariana, p.119-24


Notes

La version des OC de Piron a été préférée, notamment pour ses nombreuses notes.