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Remerciement du général de la Calotte à Son Éminence Mgr le Cardinal de Fleury son protecteur

Remerciement du général de la Calotte
à Son Éminence Mgr le Cardinal de Fleury, son protecteur
De par le dieu de la Marotte,
Nous, général de la Calotte,
Aux calotins, nos favoris,
Salut et chance. Ayant appris
Par les murmures de la ville,
Par les cris des bons citoyens,
L'avantage que Vintimille
A obtenu par le moyen
et par l'adroite politique
De Fleury, que nous chérissons,
Et qui fait son étude unique
De nos lois et de nos leçons.
Nous croyons par reconnaissance
Devoir publier ses bienfaits.
Ils ont passé notre espérance ;
Son zèle a comblé nos souhaits.
Que le Parlement soit contraire
Et s'arme contre nos sujets,
Que pour le bien de la patrie
Il accumule ses arrêts,
Qu'il saisisse les circonstances
Et que la harangue à la main,
Par d'injustes remontrances
Il fatigue le souverain ;
Que sans craindre les anathèmes
Il flétrisse des mandements
Que nous avons dictés nous-mêmes,
Que, prêt à tous événements
Des avocats l'ordre fidèle,
Unis par des communs serments,
Prennent parti dans la querelle
Et s'épuisent en raisonnements.
En vain à nos droits légitimes
Ils opposent un fatras de lois ;
Nous établirons nos maximes
À la pluralité des voix.
La cour nous aime et veut nous plaire ;
Nous sommes sûrs de nos prélats ;
Le conseil pour nous satisfaire,
Démentira les magistrats.
Daguesseau nous doit ses suffrages
Que nous avons bien achetés ;
Cet hypocrite est à nos gages,
Il se doit tout à nos bontés.
Encore que Fleury le méprise,
Pour nous servir à notre guise
Il le fait rentrer dans Paris,
Et Thezu par notre entremise
Vole sa famille et l'Église.
Pour enrichir un de ses fils,
Avec l'âme aussi mercenaire,
Chauvelin nous est tout acquis ;
Pour de l'argent il peut tout faire ;
Il sert bien d'utiles amis.
L'ambition l'engage au crime
Et aux plus noires trahisons.
Et le seul génie qui l'anime
Est le plus fourbe des démons.
Quoique chef d'une compagnie,
Depuis longtemps notre ennemie,
Chez laquelle en quittant la cour
Thémis fugitive et bannie
A fixé son triste séjour,
Portail nous offre son secours.
Ce magistrat, lâche et timide,
Vendu sans honte à la faveur,
Ce coeur bas, cette âme perfide,
Pour qui l'intérêt seul décide
Et du mérite et de l'honneur,
Portail trahissant ses lumières,
Sa religion, son emploi,
Même aux dépens de ses confrères,
Nous servira contre son Roi.
Hérault, ministre subalterne,
Persécuteur dur, insolent,
Esclave de la cour moderne
Et juge sans discernement,
Nous prouvera par sa conduite
Qu'il mérite notre amitié.
Il a les vertus d'un jésuite,
Le coeur faux, l'âme sans pitié ;
C'est par des qualités si rares
Qu'à son poste il est parvenu.
Sans des vertus aussi barbares
A peine eût-il été connu.
La calotte se fie encore
Sur son galant abbé Bignon
Dont la vieillesse déshonore
Et les premiers ans et le nom.
Nous pourrions en nommer bien d'autres,
Zélés et puissants comme lui.
Les grands emplois sont pour les nôtres
Et ils nous donnent leur appui.
De plus, dans une longue enfance,
Ignorant ses vrais intérêts,
Notre Roi même, sans défiance,
Et sans soupçonner nos projets
Nous armerait de sa puissance
pour le maintien de nos sujets.
Nous devons cet aveu sincère
Que nous faisons joyeusement :
C'est Fleury qui nous sert de père
Et nous protège ouvertement.
Nous pouvons sous son ministère
Tout entreprendre impunément.
C'est lui dont la faveur procure
À nos calotins la lecture
De ce célèbre mandement
Que Vintimille à l'aventure
Publie sans savoir comment,
Car il en avait vu seulement
Et le titre et la couverture.
L'ouvrage sentait la brûlure,
Nos principes embarrassés
Sur l'Église et sur sa puissance,
Quoiqu'adroitement déguisés,
Y expliquaient notre croyance
Sur elle et son indépendance
De tout acte du souverain.
Et puis le fougueux écrivain,
Pour effrayer par les censures,
De l'air d'un pontife romain
Excommunie haut à la main
S'emporte et vomit des injures
Contre tous ses contredisants
Qu'il traite à son gré d'hérétiques.
Ceux qu'il dit désobéissants
Sont selon lui des fanatiques.
C'est ainsi que nos partisans,
Par zèle et par leur violence,
Hasardent tout. Le Parlement
Qui en sentit les conséquences,
L’éplucha scrupuleusement,
Puis sur un beau réquisitoire
Le flétrit solennellement.
C'en était fait du mandement.
Mais le Conseil, qui l'eût pu croire ?
Complice de la trahison,
Sur la foi d'un petit mémoire
De cet arrêt nous fit raison.
Cependant le dernier ouvrage
Qui eut un succès si heureux,
Parlait à peu près le langage
Du mandement malencontreux.
Il était encore moins sage
Car il était calomnieux.
Mêmes expressions ambiguës,
Mêmes fausses interprétations,
Mêmes erreurs, mêmes bévues,
Et les mêmes prétentions.
L'auteur, jaloux du despotisme,
En prenait le ton sans prudence
Et l'on voyait le fanatisme
Annoncer hardiment le schisme
Dont le clergé fait tant de peur.
Enorgueillis de leur victoire,
Nos prélats se sont enhardis,
Et pour avoir part à la gloire
La Fare, un des plus étourdis,
Aussitôt entre dans la lice.
L'effronterie et la malice
Dictèrent son instruction ;
La fourberie et l'injustice
Sans beaucoup de prétention,
Sans user d'un grand artifice
Travaillèrent à la façon.
Cet avorton que la nature
Fit le symbole du péché,
Ce laid magot dont l'âme impure
Fut assortie à la figure,
Ce vilain petit débauché,
Pour tenir école de vice
Mieux qu'un autre en ferait leçon.
Mais en fait d'érudition
Le fat abbé de Saint-Simon
Nul n'est si sot, ni si novice ;
Aussi n'est-il que prête-nom
Des vrais auteurs de cet ouvrage.
Il l'a signé, daté, peut-on
Lui en demander davantage ?
Cet écrit plein d'emportement
N'observe aucune bienséance ;
Sans égard, sans ménagement,
Il ose s'en prendre aux puissances.
Il brave leur autorité.
Il gronde, il tonne, il menace.
Se fiant sur l'impunité,
Il substitue avec audace
Aux plus anciennes vérités
Une foule d'erreurs nouvelles
Et juge des points contestés
Par des injures personnelles.
Il s'échappe à de tels excès
Que le conseil, plein d'indulgence
Pour ce qui nous touche de près,
Ne put dissimuler l'offense
Ni en assurer le succès
Par ses soins et son silence.
Le mandement fut donc proscrit
En dépit de la prélature.
Ce fut peu, ce fatal écrit
Méritait pire flétrissure.
Mais Fleury, plein du même esprit
Qui se fait sentir dans l'ouvrage,
Le sauva par tout son crédit
De l'ignomineux outrage
Que lui eût fait le Parlement
S'il en avait pris connaissance.
Il n'eût pas eu la complaisance
D'en agir si bénignement.
Brûlant de zèle et de colère,
Allumé d'un feu calotin,
Pour ressusciter leur chimère,
Le furieux abbé Tencin
Vint au secours de son confrère ;
Tencin, dont le nom parmi nous
Vaut lui seul un panégyrique ;
Ce convertisseur pathétique
Des agioteurs, des filous ;
Agioteur, filou lui-même,
Sans honneur, sans religion,
Orgueilleux, menteur par système,
Usurier par profession,
Trafiquant jusqu'aux bénéfices,
Perfide ami, mauvais sujet,
L'assemblage de tous les vices
Fait le tableau du prestolet.
Il profane tout ce qu'il touche ;
Pour lui la morale est peu,
Et l'Évangile dans sa bouche
N'est plus la parole de Dieu ;
Il en emprunte le langage
Mais il en pervertit le sens.
Sa vie n'est qu'un brigandage,
Et il s'est fait un badinage
De violer le droit des gens.
Dans l'assemblée sacrilège,
De déposer de son siège
L'Athanase de notre temps.
Tencin donc parut sur la scène
Pour appuyer son compagnon.
Du premier pas il perd haleine
À force de hausser le ton.
Ses deux écrits, pleins d'amertume,
Sont cruels et séditieux.
Le fiel découla de sa plume
Quand il les écrivit tous deux.
La discorde et les trois furies
Versèrent sur lui le poison ;
La haine égara sa raison ;
Ses maximes les moins hardies
Passent même les frénésies
D'un malade en convulsion.
À de si scandaleux ouvrages,
Tout comme au premier mandement,
Le Conseil tout succinctement
Opposa quelques verbiages
Et les supprima seulement.
Un jugement si peu sévère
N'eût pas dû choquer le prélat.
Cependant d'un ton de colère
Il s'est plaint de cet attentat.
Il insinue, il fait entendre
Qu'un évêque ne doit dépendre
Ni des magistrats ni des lois,
Et qu'il n'a point de compte à rendre
Ni au public, ni même aux rois,
Qui devraient par condescendance,
Par louable docilité,
Ou par pieuse oisiveté,
Se dépouiller de leur puissance
Pour l'abandonner au clergé.
Quel repos pour leur conscience !
Pour leur salut, quel préjugé !
C'est là de notre syllogisme
L'essentiel et le plus fin.
Un évêque bon calotin,
Comme nous ami du sophisme,
Tout en raisonnant de travers
Doit établir cette doctrine
Qui sans faute nous achemine
À l'empire de l'univers.
Fleury, plus calotin qu'un autre,
A bien appris cette leçon
Et plus en tyran qu'en apôtre
Il l'a fait valoir de façon
Que si son heureux ministère
Dure et nous sert utilement,
L'Église, ambitieuse, altière,
Règnera despotiquement.
Elle n'a plus qu'un pas à faire.
Mais pour parvenir à son but,
Il faut faire accroire au Saint-Père
Que cette Église imaginaire
Qui met l’Évangile au rebut,
Ouvre la route nécessaire
Qui seule conduit au salut.
Déjà la crédule ignorance
Et l'aveugle soumission
Canonisent l'extravagance,
Et l'imbécile obéissance
Fait presque la religion.
L'auteur de Marie Alacoque
Parle sans cesse sur ce ton.
Il est vrai que chacun se moque
De lui, de sa sainte équivoque
Dont toute la dévotion
N'est que bêtise et que vision.
Mais le public a beau médire
Et d'elle et de l'historien,
La calotte qui aime à rire
Se plaît à voir dans le délire
Un grave théologien,
Qui s'accommode à notre idée,
Qui d'un air de simplicité
Propose une fille insensée
Pour exemple de piété,
Et qui dans un panégyrique
Sérieux ensemble et comique,
Vient prôner les égarements
D'une fille mélancolique
Qui dans son accès frénétique
Parle et s'oublie à tout moment,
Dont les fréquentes rêveries,
Ne sont que des discours impies,
Dont les coupables libertés
Mériteraient d'être punies
Et révoltent les gens sensés.
Fleury, l'appui de la marotte,
Lui dont le gros bon sens radote,
Trouvant l'écrit plein d'onction
Accorda sa protection
À Languet et à sa dévote.
Cette seule approbation
Fit la fortune de ce livre.
Sans sa recommandation
Le misérable n'eût pu vivre
Hors de l'enceinte de Soissons
Ou hors des Petites-Maisons.
C'est ainsi que cette Éminence
Nous sert dans ces occasions,
Et nos sollicitations,
Même contre sa conscience,
Ont toujours eu la préférence
Sur les lois et sur les raisons.
Pour la carcasse de Sorbonne,
Nous la laissons dans son entier.
C’est un cadavre, une charogne
Que nous passons, car d’en parler
Ce serait trop forte besogne.
Mais pour ce qui est de Fleury,
Notre fidèle favori
Nous laissons à quelque habile homme
À détailler par le menu
Tous les bienfaits dont le bonhomme
Nous a sans cesse prévenus.
Ce serait pour nous trop d'affaire.
Qu'il nous suffise de savoir
Et de publier à voix claire
Que nous devons notre pouvoir
À son zèle, à son savoir-faire.
Ménageons-nous sa confiance
Chers, bien aimés Clémentins.
Que notre aveugle complaisance
Prouve à tous la reconnaissance
Du corps entier des calotins.
Que sa secourable hydrocèle,
Fruit de ses anciens passetemps,
Sans le tourmenter lui rappelle
Les plaisirs de son jeune temps ;
Que le ribaud près d'une belle,
Il n'importe femme ou pucelle,
Dans ses tendres embrassements
Retrouve une chaleur nouvelle
Et de nouveaux amusements ;
Que ses heureuses destinées
Ramènent parmi nous l'âge d'or ;
Que les trois Parques
Lui filent de longues années ;
Qu'il vive les ans de Nestor,
Pourvu que l'affreuse vieillesse
Qui dégrade et mine sans cesse
Le peu qu'il eut jamais d'esprit,
Ne lui ôte pas son crédit.
Fait la nuit et dans le silence,
Sur la fin de ce même mois
Que le parlement de Provence,
Suborné par notre Éminence
Et l'or des mandarins chinois,
Volant à l'équité ses droits,
Pour ne pas venger l'innocence
Vendit la justice et ses lois.

 

Numéro
$4078


Année
1731




Références

1754, V,104-16 - F.Fr.10286 (Barbier), f°284-94 - F. Fr.10476, f°93-101 - F.Fr.12655, p.159-74 - F.Fr.12785, f°195r-194v - F.Fr.15017, f°205-221r -F.Fr.15145, p.41-68 -  F.Fr.25570, p.505-21 - Nouv.Acq.Fr. 2485, f°104r-111r et f°136r-153r - Nouv.Acq.Fr. 4773, f°124r-132r - Arsenal, 3128, f°80v-85v - Arsenal, 3359, p.389-03 - BHVP, MS 602, f°160r-165v - BHVP, MS 665, f°2 - BHVP, MS 703, f°213r-223v - Chambre des députés, MS 1422, f°164 -  Sainte-Geneviève, MS 908, f° 17 - Bordeaux BM, MS 693, p. 696-708 - Carpentras BM, MS 954 - Chartres BM, MS 717 - Grenoble BM, MS 587, 1-14 (pag. distincte) - Lille BM, MS 65, p.253-77 - Lyon BM, MS 51/2, f°129r-135r - Lyon BM, Palais des arts, 54, f°38-48 - Lyon BM, MS 1503, f°176 - Lyon BM, MS 1513, f°26-32 - Rouen BM, MS 1557, f°115 - Vitry-le-François BM, MS 101, f°359 - Toulouse BM, MS 861, p.77-90