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Ordonnance et instruction pastorale de Momus sur les miracles de M. de Pâris

Ordonnance et instruction pastorale de Momus

au sujet des miracles de l’abbé Pâris

De par l’esprit du Molinisme,

Du Déisme et de l’Athéisme,

Dieu de songe et de vision,

De chimère et d’illusion ;

Nous, suppôt de son fanatisme,

Et commissaire député

Pour juger de la vérité

Des miracles du Jansénisme,

Autrement dit Catholicisme.

Nous, après avoir consulté

L’esprit de l’incrédulité,

Sur tous les faits qu’elle conteste,

Et dont la troupe nous atteste

Avoir vu la réalité :

Après avoir jeté la vue

Sur cette crédule cohue

Qui court et vole à Saint-Médard,

Et remarqué qu’elle attribue

À la sainteté prétendue

De son anti-Père Girard

Ce qu’elle ne doit qu’au hasard ;

Nous qui ne chômons d’autre fête

Que celle du Père Guignard ;

Marotte en main, calotte en tête,

Sans examen de notre part,

Décidons que la foi publique

Ne fait point l’authenticité

Des miracles d’un hérétique

Mort en odeur de sainteté ;

Que de l’Église catholique

Tout appelant est rejeté

Et qu’un miracle est chimérique

S’il n’est par nous seul attesté.

Ergo, ceux qui n’ont point accepté

La Bulle sainte et canonique

Sont dans l’impossibilité

Morale aussi bien que physique,

De faire miracle authentique

Et par la Calotte adopté.

Mais supposons qu’un Janséniste

D’un mort fasse un ressuscité,

Et supposons qu’un Moliniste

En fasse autant de son côté :

Quel des deux doit être écouté

Demandera le Calviniste ?

C’est miracle pour le Bulliste

Répondra la Société,

Et c’est tour de subtilité

Pour l’autre, son antagoniste.

Partant tout miracle vanté,

S’il est fait par un schismatique,

Un appelant, un hérétique,

Ne peut détruire la bonté

De la Doctrine jésuitique

Ni conclure rien de certain

Contre la foi d’un Marotin,

Qui se fait un plan dogmatique

Sur la plume à la Coquetique

De Languet, Belzunce et Tencin ;

Et si, comme on le publie

Dans tous les lieux circonvoisins

De la tombe où le peuple prie,

Les malades retournent sains,

Si, comme on voudrait le prétendre,

Les boiteux en reviennent droits,

Si le sourd répond à la voix

Du muet qui se fait entendre ;

La fausse imagination,

jointe à la superstition,

Dupe des yeux et des oreilles,

A plus de part à ces merveilles

Que le Saint dont est question,

Dont nous faisons notre marotte.

Grâce à notre inquisition

Nous donnons trop d’attention

À l’Église de la Calotte

Pour en voir la destruction ;

Ses fondements sont trop solides

Et par nos soins trop affermis ;

Les Clémentins sont des Alcides

Qui ne craignent point d’ennemis ;

Babylone est leur forteresse,

Ils ont la ruse et la finesse

Pour agir défensivement ;

Pour agir offensivement

Ils ont la force et la puissance :

Vouloir leur faire résistance

C’est se perdre papalement,

Voulons dire infailliblement ;

Ainsi l’Église calotine

Des miracles n’a pas besoin,

Et tant que nous en prendrons soin

Nous sommes sûrs de la ruine

De celle qui se dit divine

Aussi bien de près que de loin.

Elle nous dispute la gloire

D’avoir Jésus-Christ pour époux ;

Mais elle a beau s’en faire accroire

Beau se fonder sur grimoire,

La force décide pour nous,

C’est une Agar, c’est une esclave,

Qui, rebelle à Sa Majesté,

Méprise Rome et son conclave,

Et foule aux pieds Sa Sainteté ;

Moquons-nous donc de ces oracles,

Dont Montpellier est enchanté

Et rejetons tous ces miracles

Qui, rappelant la vérité,

Font foi de son antiquité.

Pour le bonheur du Molinisme

Qui ne peut être renversé

Que par l’esprit du rigorisme ;

Le temps du miracle est passé,

Telle est la foi du calotisme :

Mais comme toute nouveauté

En fait d’admirables prodiges,

Séduit sont par ses prestiges

L’esprit de curiosité ;

Nous que la Clémentine éclaire,

Et l’avis pris des Clémentins,

Estimons qu’il est nécessaire,

Pour mieux parvenir à nos fins,

De fixer à notre ordinaire

La foi de certains calotins,

Au Jansénisme trop enclins.

À ces causes, pour satisfaire

Au dû de notre ministère,

En vertu de l’autorité

Des ordres de Sa Majesté,

Nous, susdit juge et commissaire,

Soumis à la Société

À qui tout Marotin doit plaire ;

Sur la foi des certificats

Des trois esculapes de France,

Fameux par leur expérience,

À traiter des maux qu’on n’a pas,

Faisons très expresses défenses

À nos fidèles candidats

De tout âge et de tous états

D’aller à la tombe du Diacre,

D’en respecter le simulacre

Et de se mettre dans l’esprit

Que la vertu d’un saint proscrit

Ait la faculté de s’étendre

Sur celui qui croit que sa cendre

Se mêle au sang de Jésus-Christ.

Ce sentiment est une peste

Que tout bon acceptant déteste,

Et qu’il faut par précaution

Craindre de la séduction ;

Car, quiconque au danger s’expose,

Dit fort bien Jésus dans sa glose,

Il périra certainement ;

Ce qui ne souffre point de doute :

Et puis s’expliquant clairement

En la même Glose il ajoute :

Vous verrez dans les derniers temps

S’élever plusieurs faux prophètes

Qui se diront mes interprètes

Et séduiront beaucoup de gens

Par des prodiges étonnants ;

Mais alors, quoique l’on vous dise,

C’est là, c’est ici qu’est l’Église,

N’en croyez rien absolument ;

L’Église est une seulement.

Que chacun de vous soit docile,

C’est-à-dire aveugle, imbécile ;

Adhérez d’esprit et de cœur

Aux décrets du Romain Pasteur ;

Pasteur, Église est même style,

Croyez-y comme à l’Évangile,

Il ne sera jamais trompeur ;

Car j’aurais soin de mon Épouse,

Je la comblerai de bienfaits,

Et ne la quitterai jamais.

Mes apôtres, vous êtes douze,

De vous douze, toutes les fois

Que vous vous joindrez deux ou trois

Pour le bien de ma bergerie,

En vérité, je vous le dis,

Au milieu de ces trois unis

Je me trouve en esprit et vie.

À ces paroles de Jésus,

Dire que la petite Église

Est l’Église qui symbolise

Avec le nombre des élus

N’est-ce pas en faire un abus ?

À la lettre le doit-on prendre,

Quand l’esprit sait si bien entendre

Ce qu’il faut croire là-dessus ?

Que nous reste-t-il à vous dire,

Chers et fidèles Marotins ?

Les miracles des nouveaux saints,

Nous donne plus matière à rire

Qu’ils ne sont, entre nous, divins.

Voilà, voilà ces faux prophètes,

Ces précurseurs de l’Antéchrist,

De qui Jésus-Christ a prédit

Qu’ils se diront ses interprètes,

Qu’ils séduiront ces femmelettes

Et mille autres simples esprits.

Plus du Diacre on dit des merveilles,

Et plus bouchez-vous les oreilles ;

L’esprit est prompt, faible est la chair,

Et jamais Satan ne sommeille.

Pour le tromper, craignez l’enfer

Sans vous embarrasser du reste :

Le nombre des élus est grand,

C’est en vain qu’on nous le conteste,

Le Moliniste en est garant.

Qui vous prêche une autre doctrine

Est un prophète de malheur,

Un Janséniste, un faux-docteur

Et d’un Chrétien n’a que la mine.

Or défendons conséquemment

Aux principaux du Régiment,

Même au curé de Saint-Sulpice

Et défendons pareillement

À tous chercheurs de bénéfice,

N’importe par où ni comment

De donner créance aux miracles

Du nommé François de Pâris,

Ni de prendre pour des oracles

Les malades qu’il a guéris

Comme en court le bruit dans Paris ;

Exhortons dévot et dévote

De ne point lui faire des vœux,

Ni de traiter de bienheureux

Un Appelant que l’on dénote

Mort hors du sein de la Calotte,

Sous peine à tout contrevenant,

Aussitôt le cas advenant,

D’être privé de la Marotte.

Conseillons spécialement

À la Princesse Douairière

Pour qui le jour est sans lumière

De n’aller point au monument.

S’il fallait malheureusement

Que le Saint lui rendît la vue,

Sans qu’on pût douter un moment

De la vérité toute nue,

Dieu sait ce qu’il en adviendrait,

La vérité clabauderait

Aux oreilles de tout le monde,

Ensuite au tombeau on viendrait

De mille stades à la ronde,

Et chacun l’y reconnaîtrait

En dépit de l’esprit immonde :

Car les miracles à foison

Lui donneraient droit et raison

De tout ce qui serait la faute

De la Princesse de Conti.

C’est pourquoi prenons le parti

De lui conseiller à voix haute :

Grande Princesse, Dieu vous gard,

Prenez l’avis de bonne part.

Gardez votre perte de vue,

Et pour raison de nous connue,

Laissez, laissez là Saint-Médard.

Si vous guérissiez par hasard,

Vous seriez l’auteur d’un scandale

Que l’intérêt du Régiment

Veut qu’on évite absolument.

Chers marotins, à vous la balle ;

Que diriez-vous si le Conseil,

Touché d’un miracle pareil,

Allait y faire une neuvaine,

Qu’il en revînt tête saine

Et plus ardent à son devoir

Qu’il n’est jaloux de son pouvoir ?

Que diriez-vous si par caprice

Au bruit d’un fait si merveilleux,

Fleury, à gouverner novice,

Visitait aussi ces saints lieux,

Qu’aussitôt après sa prière,

Ouvrant les yeux à la lumière

Qu’il a tant refusé de voir,

Il vînt tout à coup à vouloir

Changer ses vertus cardinales

En des vertus théologales ?

Que diriez-vous si D’Aguesseau

(Cela soit dit par impossible)

De Fresne passant au tombeau

S’y dépouillait de son bandeau

A la vérité si nuisible ?

Que diriez-vous si Chauvelin,

Dont le Chancelier est la dupe,

Au lieu du démon qui l’occupe,

Allait en rebroussant chemin

Faire à Saint-Médard sa prière

Et qu’animé d’un feu divin

Il quittât son esprit malin

Pour penser à sa fin dernière ?

Vous connaissez le double traître

Qui par l’abus de son pouvoir

Trahit le Ciel, livre son Maître

Au Prince du sombre manoir ;

Que diriez-vous, cher peuple noir,

Si forcé de se reconnaître

Aux pieds du Saint que l’on va voir,

En ministre indigne de l’être

Il s’y pendait de désespoir ?

Portail est encore des nôtres,

Quoiqu’il dise des patenôtres ;

Où de la Grâce il est traité

Où la Doctrine des Apôtres

Décide pour la vérité

De l’appelant persécuté.

Que diriez-vous si ce cœur lâche

Qui rampe à replis tortueux

Et qui devient pour cette tache

L’opprobre aux cœurs vertueux ;

Que diriez-vous si l’infidèle

À la tombe du Bienheureux

Se désistait de son faux zèle

Pour marcher d’un pas vigoureux

Sur les pas de l’abbé Pucelle ?

L’aveuglement de nos prélats,

Que saisit l’esprit de vertige,

Dont le délire est un prodige

Que l’avenir ne croira pas…

Que diriez-vous si les prélats,

Surpris des vertus de la Tombe

Où l’incrédulité succombe,

S’y déclaraient, quoique tremblants,

Pour le parti des Appelants ?

La Sorbonne, ou plutôt son ombre,

Mais ombre qui ne fait point ombre

Entre les ombres des vivants,

Éclairés, pieux et savants…

Cette vierge folle et flétrie

Par l’adresse et par l’industrie

Des fins et rusés Clémentins,

Attend en vain que l’époux vienne

Et dévide sa lampe pleine :

Que diriez-vous, grands Calotins,

Si cette aveugle aventurière

Qui se vautre dans la poussière

Où son ergotisme est réduit,

Sur le Tombeau passant la nuit,

Disait au Saint dans sa prière,

A peu près comme il s’ensuit :

Je suis sans huile et sans lumière,

Et grande est mon affliction,

Daignez, grand Saint, remplir ma lampe

De l’huile de votre onction,

Et ne craignez plus que je rampe

Devant la Constitution ?

Que diriez-vous, sots de l’École,

Si pour répondre à cette folle

Du Saint on entendait la voix

Lui dire net ce qu’autrefois

Jésus disait en parabole :

Retirez-vous, vierge insensée,

Retirez-vous, portez vos pas

Où pour d’infâmes scélérats

Votre lampe s’est renversée ?

Aux effets des divins ressorts

Que ne diriez-vous point alors ?

Sans doute diriez-vous sans rire,

Si ces miracles avaient lieu,

Ils renverseraient notre empire ;

Du libertinage au martyre

On ne verrait point de milieu ;

Tout le clergé dans le délire

En sortirait pour croire en Dieu ;

En un mot il vous faudrait dire

À la Marotte un long adieu.

Frondons, démentons ces miracles

Dont l’éclat dessille nos yeux,

N’en souffrons point de sérieux ;

Mettons obstacles sur obstacles

À leurs progrès religieux,

Ils nous sont trop injurieux ;

Profanons-les dans nos spectacles

Sous des dehors facétieux,

Prouvons par des traits captieux

La fausseté de leurs oracles

Et rendons-les tous odieux ;

Imposons silence au vulgaire

Que la vérité fait parler ;

Hurlons tous, puisqu’il faut hurler ;

Nos hurlements les feront taire,

Et s’il arrive le contraire

Filer doux est le pis-aller

Qui reste à notre savoir-faire.

Fait à la porte du Palais

Où depuis la fuite d’Astrée

Vers la région éthérée,

Il n’est plus besoin de balais.

 

Numéro
$4344


Année
1731




Références

1754, V,78-80 - F.Fr.10476, f°30-37 - F.Fr.12655, p.175-90 - F.Fr.15017, f°33r-46v -F.Fr.15145, p.217-45 - F.Fr.25570, p.633-40 - Nouv.Acq.Fr. 2485, f°5r-10r - Arsenal 2975, p.126-33 - Mazarine, 3971, p.469-97 - Lille BM, MS 64, p.267-92


Notes

L'extrême maladresse du texte rend difficile d'en saisir le sens qui doit s'entendre par antiphrase. Il s'agit bien d'une vision janséniste avec dénonciation de quelques-uns de ses principaux adversaires: le Conseil du Roi, le cardinal de Fleury, Chauvelin, d'Aguesseau, la Sorbonne, etc.