Brevet d’évêque in partibus en faveur du Sabatier, jésuite
Calotine
Brevet d’évêque in partibus
en faveur du P. Sabatier, jésuite
De par le dieu porte-marotte,
Nous, Général de la Calotte,
Salut et joie à nos sujets.
Chers et féaux, vous devez croire
Que nous ne formons des projets
Que pour l’avantage et la gloire
De notre fameux régiment.
Toujours de notre empressement
Vous recevrez les nouveaux gages ;
Pour remplir nos brillants emplois
Nous choisissons des personnages
Qui soient connus par leur exploits.
Sabatier, notre ami fidèle,
Va voir récompenser son zèle
Qu’il a eu de tout temps pour nous
En dépit de tous les jaloux.
Nous voulons que ce loyoliste,
Ferme appui du corps moliniste,
D’un évêché soit honoré.
Connaissant son expérience,
Ses bonnes mœurs et sa science,
Tout mûrement considéré,
Nous faisons choix de ce grand homme
Pour être évêque de Sodome
Et des pays circonvoisins.
Mandons à ses diocésains
De suivre sa morale pure.
Que le péché contre nature
Ne les empêche désormais
D’aimer le sexe et ses attraits.
Ils peuvent allier ensemble
Ces qualités, ces deux amours.
Ils doivent imiter toujours
Les rares talents que rassemble
Sabatier, illustre pasteur,
Que nous leur donnons de bon cœur.
Nous voulons bien par ces présentes
Faire briller avec éclat
Tant de qualités éminentes
Que l’on admire en ce prélat.
Vous, dont les excès impudiques
Surprirent jadis tout Paris,
Et qui de vos exploits lubriques
Reçûtes à la fin le prix,
Votre gloire aujourd’hui s’efface.
Mânes des Chauffours, des Chaussons,
Le grand Sabatier vous surpasse ;
Il veut vous donner des leçons.
Jeunes garçons, filles et femmes
Savent jusqu’où vont ses transports.
Il sut, en dirigeant leurs âmes,
Se rendre maître de leurs corps.
Traçons l’aventure bizarre
D’un chirurgien nommé Navarre.
Tel récit doit en vérité
Passer à la postérité.
Sa femme était jeune, assez belle,
Sabatier, tout brûlant de zèle,
S’empressa de la diriger.
On prétend qu’il sut engager
Cette incomparable héroïne
À suivre sa sainte doctrine.
Navarre quel fut ton dépit !
Tu crus qu’il partageait ton lit.
Tu ne te trompais pas peut-être.
Tel tour ne serait pas nouveau.
Les transports que tu fis paraître
Firent craindre pour ton cerveau
Quelque dérangement terrible.
Cet homme, à sa honte sensible,
Loin de douter qu’il fût cocu,
Parut en être convaincu.
Sa raison, cédant à l’orage,
Fit enfin un triste naufrage.
Sabatier eut la fermeté,
On peut dire la cruauté,
De mépriser sa jalousie,
De rire de sa frénésie.
Le mal empirant tous les jours,
Navarre, privé de secours,
Finit sa déplorable vie.
Sa femme feint quelque douleur.
On dirait qu’elle est désolée.
Mais par Sabatier consolée,
Elle supporte son malheur
Avec extrême patience,
Ou pour mieux dire avec constance.
(Nous ne voulons pas retracer
Tout ce qu’a fait ce personnage,
Ce serait un trop long ouvrage.)
Enfin pour le récompenser,
S'il se peut en toute manière
Voulons que chaque vivandière
Lui donne par an deux écus :
Ce seront là ses revenus.
Nous lui donnons notre médaille,
De la première et grande taille,
Aussi bien que le grand cordon
Et prétendons que sous sa mitre
Il porte calotte de plomb.
Voulons qu’il prenne aussi le titre
De notre premier aumônier.
Exhortons ledit Sabatier
À redoubler pour nous son zèle
Et qu’il vienne prêter serment
De nous être toujours fidèle.
Fait au Conseil du Régiment
Par nous, avec entendement.
Clairambault, F.Fr.12702, p.215-19 - F.Fr.12655, p.143-47 - F.Fr.15243, f°56-57 - F.Fr23859, f°60 - F.Fr.25570, p. 617-20 - Lille BM, MS 63, p.446-453 - Lyon BM, Palais des arts, MS 54, f°12-17