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Arrêt du conseil souverain de Momus qui réforme celui du Parlement d’Aix en faveur du P. Girard, jésuite

Arrêt du Conseil de Momus qui réforme celui du Parlement d’Aix touchant l’affaire du P. Girard

Pour entendre l’ouvrage suivant, il est bon d’observer, suivant la remarque de Moréri, t.3, p. 90, au mot Jésuitesse, que c’était un ordre de religieuses qui avaient des maisons en Italie et en Flandre, quoique leur ordre n’eût point été approuvé par le Saint Siège ; elles avaient cependant plusieurs maisons auxquelles elles donnaient le nom de collèges ; d’autres qui portaient celui de noviciats ; que dans ces maisons il y avait une supérieure, entre les mains de laquelle les religieuses faisaient leurs voeux de chasteté, de pauvreté et d’obéissance. Mais elles ne gardaient point la clôture et se mêlaient de prêcher. Ce furent deux filles anglaises, Warda et Thuittia, qui étaient en Flandre, lesquelles instruites et excitées par le P. Gérard, recteur du collège des jésuites et par quelques autres jésuites, établirent cet ordre. Leur dessein était d’envoyer ces filles prêcher en Angleterre. Warda devint bientôt supérieure générale de plus de 200 religieuses. Mais le pape Urbain VII supprima cet ordre par son bref du 13 janvier 16301 adressé à son nonce en basse Allemagne, lequel bref il fit imprimer à Rome en 1632.

 

De par nous, juges calotins,

À tous nos esprits fagotins,

Salut, joyeuse singerie,

Et perpétuelle mômerie.

Depuis que la Société,

Par un appel interjeté

A remis à notre prudence

La grande affaire de Provence,

Espérant un meilleur succès

De la révision du procès,

Nous avons suivi notre zèle

Et bien intentionnés pour elle

Nous trouvons de puissants motifs

Qui, selon toute vraisemblance,

Sans s’arrêter à l’apparence,

Sont au moins justificatifs.

On sait qu’aux maisons régulières

L’un et l’autre sexe est admis ;

Qu’aux Cordeliers il est permis

De desservir des Cordelières ;

Que pour les moines de Clairvaux

On a fondé des Bernardines,

Et que l’ordre de Fontevrault

Comprend et moines et béguines.

Faudra-t-il donc qu’au masculin

Le Jésuite fixé sans fin

Soit par une règle sauvage

Exclu de l’ordinaire usage2  ?

Qu’on le soupçonne à tout propos

Des plus criminelles caresses,

Qu’on lui mette tout sur le dos,

Et ce, faute de Jésuitesses ?

Bien est-il vrai que Loyola,

Quand il forma sa compagnie,

Du sexe éprouvant le génie,

En reçut trois, et dit : Holà.

Mais n’en déplaise à ce bon Père,

Cette loi fut bonne pour lui ;

Sa race plus sage aujourd’hui

La peut bien traiter de chimère ;

Gens qui régentent l’univers,

Et qui réforment l’Évangile,

Peuvent bien ôter, entre mille,

Dans leur règle un point de travers.

Ainsi pensait à cet égard

Jadis un bon recteur de Flandre

Que l’on nommait Père Gérard ;

Il eut la gloire d’entreprendre

Un beau collège féminin,

Et sans un fâcheux Capucin3

Qui fit faire une Bulle à Rome

Pour jouer pièce à ce pauvre homme,

Il aurait fait de grands progrès.

Déjà l’on comptait à peu près

Deux cents Flamandes ou Françaises

Qui, suivant la Société

Jusques aux côtes japonaises,

Allaient prêcher de tous côtés.

Certainement son entreprise,

En doublant ainsi la mission,

Eût fait naître de cette union

Grand nombre d’enfants à l’Église ;

Mais ce noble et pieux projet,

Privé pour lors de son effet,

Ne devrait-il jamais renaître

Par les efforts d’un autre maître ?

Le Révérend Père Girard,

Aussi malheureux que Gérard,

Dût-il à la centième année

Craindre pareille destinée ?

Crût-il qu’un autre va-nu-pieds4 ,

Par ignorance ou par malice,

Détruirait encore l’édifice

Avant qu’il fût bien fortifié ?

Ne pouvait-il pas au contraire

S’imaginer qu’au moindre bruit

Le Saint-Père sur cette affaire,

Plus infaillible qu’Urbain Huit,

Imposerait à tous silence,

Et qu’accordant une indulgence

À ceux qui recevraient leçon

Des Jésuitesses de Toulon,

Il donnerait un privilège

Aux étudiants de ce collège ?

Ce motif une fois posé,

Décharge en tout notre accusé,

Et démontre que la sentence

Du premier sénat de Provence,

En le renvoyant hors de cour,

Lui a fait un fort vilain tour.

Dirait-on pas que du bon Père

On a soupçonné la vertu

Et qu’on aurait volontiers cru

Qu’il avait baisé La Cadière !

Cet arrêt même, bien pesé,

Fait voir que, si l’on eût osé,

On aurait fait tout autre chose

En lui faisant perdre sa cause,

Comme si l’on ne savait pas

Qu’un Jésuite jusqu’au trépas

Est un animal impeccable,

Ou tout du moins impunissable.

Nous jugeons donc que c’est à tort

Qu’on eut égard au mauvais sort

De la famille accusatrice,

Et qu’on devait mettre au supplice

La mère avec ses enfants,

Plutôt qu’un arrêt authentique

Dise que l’on a reconnu

Le vice au lieu de la vertu

Dessous le manteau jésuitique.

Ainsi de notre plein pouvoir,

Infirmant ladite sentence,

Nous ordonnons que la Provence,

Déposant son malin vouloir,

Fera, par un acte explicite,

Amende honorable au Jésuite ;

Voulons qu’elle donne les mains

Désormais à ses pieux desseins ;

Que pour ce, toutes les familles

Lui laissent faire de leurs filles

Une bonne élite à son choix,

Qu’il les éprouve quelques mois,

Jusqu’à ce que les disparates,

Ou quelques glorieux stigmates,

De leur sainteté au Public

Produise un heureux pronostic.

Pendant le cours de cette étude,

Défendons toute inquiétude

Aux parents de mauvaise humeur,

Qui craignent toujours pour l’honneur.

Pour écarter toute méfiance

Incommode à Sa Révérence,

Nous joignons, pour caution complète,

À l’odeur de sa sainteté,

L’esprit de la Société,

Ennemi de tout amourette.

Quant à ce Père Nicolas,

Qui le mit en si mauvais cas5 ,

Nous le blâmons de jansénisme,

Suivant le sage procédé

Du prélat6 qui a présidé

Plus d’une fois à l’exorcisme.

Nous confirmons son interdit,

Et pour augmenter son dépit

S’il est un endroit dans le monde

Infecté de l’esprit immonde,

Mais pourtant encore inconnu

À nos compagnons de Jésus,

Nous lui ordonnons de s’y rendre

Pour y crever de désespoir,

N’ayant plus rien à entreprendre

Faute de thèse et de pouvoir.

Pour les deux frères secrétaires,

Nous les traitons d’imaginaires,

Pour s’être vainement flattés

Que de certaines libertés

Du Père avec sa pénitente

Leur seraient preuve suffisante

Du corps de délit prétendu,

Et qu’ils l’obligeraient à rendre

Ce que leur sœur avait perdu.

Nous nous contentons de suspendre

L’un et l’autre de leurs fonctions ;

Mais nonobstant intercession,

Talent, piété, littérature,

Ou catholique signature,

Nous excluons Monsieur l’abbé

De la feuille des bénéfices ;

Pour l’autre, s’il vient à jubé,

Le recteur aux belles novices

Lui fera lire le Traité

Du Paradis anticipé ;

Et s’il convient que c’est lui-même

Qui a tout écrit ce Carême,

On aura pour lui quelque égard,

Parce qu’en y prêtant son style,

Il l’a fait pour se rendre utile

Au Révérend Père Girard.

Pour ce qui est de La Cadière,

Nous connaissons visiblement

Qu’elle a comploté méchamment

De perdre le Révérend Père.

Elle affecta la sainteté

Afin qu’on crût en sa parole

Sans y soupçonner d’hyperbole,

L’échec de sa virginité ;

Puis, abusant de la confiance

D’un peuple crédule et grossier,

Elle donne pour un sorcier

Celui que, par reconnaissance,

Elle doit tendrement aimer,

Puisque lui seul a su calmer

Les désordres de la nature

Qui la mettaient à la torture ;

Enfin, par un noir attentat,

Digne du cœur le plus ingrat,

Son confesseur, seul avec elle

Dans sa chambre, dit cette belle,

Lui fit… Mais non, l’on sait fort bien,

Et mieux qu’elle, qu’il n’en est rien,

Qu’il n’y allait que pour l’instruire

Des fins du nouvel institut,

Et que le véritable but

Auquel il voulait la conduire,

C’est qu’elle tînt lieu de préfet

À sa nouvelle colonie.

Il fallait bien la mettre au fait

Des travaux de la Compagnie.

Ainsi, nonobstant sa querelle,

Nous déclarons qu’elle est pucelle,

Attendu qu’elle entend fort mal

Ce que c’est qu’honneur virginal ;

Et qu’elle prend ici le change

Entre la hotte et la vendange.

La honte de ce démenti

Lui tiendra lieu de quelque peine ;

Mais afin que son repentir

Égale à peu près ses fredaines,

Nous la chargeons non seulement

De tous les frais du lieutenant,

Mais du somptueux témoignage

Que le recteur et ses amis

Ont acheté à si haut prix

Pour constater son pucelage.

Et pour prévenir désormais

Ce qui pourrait par des scandales

Des Jésuites troubler la paix,

Nous déclarons toutes vestales

Les filles de leur direction ;

S’il leur survient quelques alarmes

Leur défendons d’aller aux Carmes

En demander l’explication ;

Mais la Présidente Guyole

Les instruira dans son école.

Quant au Sieur Chaudon, l’avocat,

Nous voulons qu’il change d’état,

Ou bien qu’il choisisse pour maître

L’abbé Boismorand, s’il veut l’être,

Sinon le Père Sabatier

Pour lui remontrer son métier ;

Qu’il apprenne de ces grands hommes

Qu’il faut user de charité

Et ménager la vérité,

Surtout dans le temps où nous sommes.

Aux juges du Parlement d’Aix,

Comme à notre Cour subalterne,

Nous enjoignons d’être à jamais

Plus zélés pour ce qui concerne

Les Jésuites, nos bons sujets,

Exécuteurs des grands projets

Que l’illusion et la folie,

Le fanatisme et le tracas,

L’erreur et toute autre manie,

Font éclater dans nos États ;

Et comme ils ont plus d’une affaire

Où leur argent est nécessaire

Et que d’ailleurs dans celle-ci

On ne les a pas bien servis ;

Qu’on leur rende la somme entière

Du sang qu’on leur avait vendu

Mais qui ne fut pas répandu,

Conséquemment à leur prière.

Et sera le présent placard

Écrit et lu de toute part.

  • 1 Date rectifiée en marge du manuscrit. : 21 mai 1631 (M.).
  • 2Ribadenagra, jésuite, écrit que saint Ignace eut beaucoup à souffrir de trois femmes qu'il avait associées à sa règle, et il obtint du pape qu'aucune mère ne serait admise à l'avenir. (BHVP, MS 602)
  • 3Valerien Magni, célèbre capucin du XVIe siècle, prononça à Rome dans la congrégation De propaganda fide une harangue dans laquelle il prouva par de solides raisons qu'il fallait supprimer l'ordre des jésuites ce qui détermina le pape Urbain 8 à donner sa bulle de suppression en mai 1631. Voyez le Dictionnaire critique au mot Magni. (BHVP, MS 602)
  • 4Le Père Nicolas, carme déchaussé de Toulon. (BHVP MS 602)
  • 5Il chagrina beaucoup les jésuites de Lyon dans une thèse publique à laquelle il présidait. (BHVP, MS 602)
  • 6L'évêque de Toulon (BHVP, MS 602)

Numéro
$4353


Année
1731




Références

1754, V,117-125 - F.Fr.12655, p.191-03 - F.Fr.15243, f°91-96 - F.Fr.23859, f°160r-165r - F.Fr.25570, p.733-44 -  NAF.9184, p.128-31 - Mazarine, 3971, p.47-469 - Bordeaux BM, MS 700, f°414v-423v - Lille BM, MS 63, p.411-27