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Brevet de garde des Sceaux des Etats de la Calotte en faveur de M. d’Aguesseau

Brevet de garde des Sceaux des États de la Calotte,
en faveur de M. d'Aguesseau, chancelier
De par le dieu de la satire,
Momus, qui maintenant attire
Sur lui tous les yeux des humains,
qui, prêchant lorsqu'il semble rire,
Sur tous les ordres de l'empire
Répand son sel à pleines mains
Dans la gloire qui l'environne
Et qu'aucun trouble ne dément,
Nous, les assesseurs de son trône
Et général du Régiment,
Qui, loin des fureurs de Bellone
Soutient et jamais ne dément
Son humeur joviale et poltronne
Ne compte parmi ses sujets
Que lutins, gnomes, farfadets,
Troupe leste en ses exercices.
Sur l'avis à nous présenté
Pour pourvoir à la dignité
De nos emplois, de nos offices,
Nommons Messire d'Aguesseau
Pour être garde de nos Sceaux,
Charge aujourd'hui trop fugitive
Qui sous la cour qui la captive
Ne va que par bonds et par sauts.
Voulons que quoiqu'il en arrive
Ce titre par bonne raison
Soit permanent dans sa maison.
Pour lui la Cour devait mieux faire.
Il en méritait pour salaire
Un traitement moins incivil,
Ayant en effet pour lui plaire
Vendu l'honneur de son exil.
Lui promettons, tout au contraire
De veiller à ses intérêts
Pourvu qu'il scelle nos arrêts
D'une main hardie et légère.
Voulons le charger des extraits
De toute requête et prière
Que nous adressent nos sujets.
Qu'il en déguise la matière
Par des mots décousus exprès
Et dont le sens d'ailleurs diffère ;
Que d'une phrase mensongère
Son bel esprit fasse les frais,
Sans égard à cette chimère
Qu'un cœur follement combattu
Appelle candeur ou vertu.
Qu'avec une adroite prudence
Il signe notre indépendance
Dans mille et mille actes secrets,
Dût sa plume former les traits.
Le temps n'est plus où ses services
Des peuples hâtaient le bonheur,
Où ses mains encore novices
S'occupaient d'un stérile honneur,
Où son âme n'était jalouse
Que des fruits d'un triste savoir,
Où les conseils de son épouse
L'affermissaient dans son devoir.
D'une gloire qu'il crut si chère
Ses yeux ne sont plus éblouis.
Le contradicteur de Louis
Est l'esclave du ministère,
Idole qu'il sert à genoux.
Jugeons de ce qu'il peut pour nous
Par les choses qu'il vient de faire.
Rappelons-nous le jour si beau,
Ce jour à nos yeux si propice,
Où se tint le lit de justice,
Quelques-uns disent son tombeau.
Mais ce sont là pures goguettes ;
Des plaisants c'est un vrai détour.
Quoi qu'il en soit, c'est dans le jour
Qu'il fut passé par les baguettes
Qu'il essuya brocards, sifflets,
Et reproches et camouflets.
Sa honte fut des plus complètes,
Comme si tout le Parlement
Pour lui rassemblé seulement,
En eût voulu faire justice.
Que dans la lanterne Fleury
N'eût fait qu’assister au supplice
D'un chancelier, son favori,
Par son support désavoué,
Thémis déchira son bandeau.
Et la piété bafouée
Cherchant un asile nouveau
S'enfuit dans la voûte azurée.
Ombre auguste, arbitre des rois,
Habile à balancer leurs droits,
À qui dans tes brillants offices
Ont manqué les ans de Nestor,
Toi qui joignis aux plus grands vices
De plus grandes vertus encore,
Viens voir d'Aguesseau, son ouvrage.
Sur d'étranges flots embarqué
Viens et reconnais dans l'orage
Un front par toi seul démasqué.
Volage esprit, nouveau Protée,
Janséniste et puis franc romain
Que sait-on ? peut-être demain
Un déiste ou même un athée
Va se produire en lui dans peu
Malgré ses heures en hébreu.
Mais sans discuter davantage
Tous les dons qu'il eut en partage,
Tâchons d'en tirer un parti
À nos grands sujets assorti.
En attendant il doit bien croire
Que nous prendrons soin de sa gloire.
Son nom chez nous partout vanté
Dans nos chansons sera porté
Depuis le Gange jusqu'à l'Ebre
Et s'il arrivait, piteux cas,
Et mort de cet homme célèbre,
Chargeons déjà les avocats
D'en faire l'oraison funèbre.
Ils diront en parlant du Roi
Et de son pouvoir plus qu'immense
Que l'organe de sa clémence
Allait partout semant l'effroi.
Quelqu'autre, moins discret peut-être,
Dira que, du sujet au maître,
Le détail est en fait de loi
Plus dangereux que nécessaire
Qu'autant qu'il ignore ses droits.
C'est un secret qu'il lui faut taire.
Quant au reste nous accordons
Calotte au nouveau titulaire
Où soient renfermés tous les dons
Qu'à ses élus Momus diffère.
Si du gain son cœur est épris
Et qu'il en fasse ses délices,
Lui-même peut de nos offices
Régler et s'appliquer le prix.
Pour lui faisons ce sacrifice
Mais à l'égard des hoquetons,
Ordonnons qu'ils chargent leurs masses
De rats, grelots et hannetons
Et qu'au milieu de cent grimaces
Tous deux follement travestis
Sans craindre qu'on les désavoue
Ils fassent en passant la moue
Aux grands aussi bien qu'aux petits.
Fait en l'an où par l'entremise
D'un ministre très déloyal
On mit à leur porte en chemise
Les vrais enfants de Port-Royal.

 

Numéro
$4106


Année
1730




Références

1754, VI,12-16 -F.Fr.10286 (Barbier), f°188-91 -  F.Fr.12655, p.103-108 - F.Fr.12785, f°182 r-185r - F.Fr.12800, p.351-356 - F.Fr.13660, f°138-141 - F.Fr.15016, f°21r-28r - F.Fr.15144, p.74-84 - Nouv.Acq.Fr. 2485, f°121 et f°132r-135v - Nouv.Acq.Fr. 4773, f°84r-87r - Arsenal 2976, p.173-179 - Arsenal 3134, f°61v-64r - Arsenal, 3359, p.265-271 - BHVP, MS 559, f°9 - BHVP, MS 602, f°135r-137v - BHVP, MS 664, f°197r-202v - BHVP, MS 665, f°1 - Mazarine 2356, f°47v-50r - Mazarine, 3971, p. 266-277 - Grenoble BM, MS 587, f°156v-159r - Lille BM, MS 62, p.463-472 - Lyon BM, MS 1513, f 6-8 - Toulouse BM, MS 861, p.69-73