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Brevet adressé à l'ordre de avocats

Brevet adressé à l’ordre des avocats

Nous, général de la Calotte,

De par Momus, prince des fous,

À tous cerveaux portant marotte

Salut. Savoir faisons que nous,

Ayant ouï parler du zèle

Qu’ont les avocats aujourd’hui

Pour procurer un sûr appui

À Marimberg et sa séquelle,

Nous étant fait représenter

Les faits que l’on va rapporter,

Savoir que dans une assemblée

De trois cents avocats meublée,

Cent, sans s’être donné le mot

Se sont unis pour sa défense,

Pour empêcher que l’on ne pense

Qu’ils le regardent comme un sot.

Cinquante, d’un avis contraire,

Voulurent enfin le soustraire.

Ce que le reste est devenu

Ne nous est pas encore connu.

Que leur chef, que Mégère anime,

Malgré leur avis unanime,

Non content d’un avis si fort

En faveur dudit janséniste,

L’a proscrit de dessus sa liste

Pour satisfaire l’autre bord,

Que Normant, le chef de la ligue,

Contraire aux vœux des avocats,

Ne voulant plus souffrir de digue

À l’ambition des prélats

Qu’il voulait devenir le maître

Avec Julien son compagnon

Et Visinier qui, se dit-on,

Pour les imiter devint traître.

René Pageau d’autre côté,

Et Bellanger son cher confrère,

Ne voulant plus dans la poussière

Se livrer à l’oisiveté,

Avaient juré d’armer tout l’ordre

Et de renverser le tableau,

Sur lequel leur faible cerveau

Non plus qu’eux ne pouvait pas mordre,

Espérant par ce trait d’éclat

Relever d’un cran leur état.

Une victoire aussi facile

Était pour eux un sûr asile

Contre les mépris affectés

De quelques-uns de leurs confrères,

Lesquels, dans certaines affaires,

Ne les avaient pas appelés,

Ne les jugeant pas nécessaires.

Ce mépris pour eux si cruel

Agite leur bile et l’enflamme.

C’est du fer qui leur perce l’âme,

Le véritable coup mortel.

Ils en ont écumé de rage.

Quoi, nous serons ainsi dupés,

Ont-ils dit, et notre partage

Est d’obéir aux volontés

Des traîtres à nos libertés !

Non, portons partout le ravage.

On n’a dû rien faire sans nous.

Nos ennemis ont l’avantage,

Mais qu’ils craignent notre courroux.

Jamais on n’a vu les furies

S’animer avec plus d’ardeur.

Des héros pour un point d’honneur

Doivent sacrifier leur vie.

Maraimberg est le digne objet

Qui sert de prétexte à leur haine.

Il faut que par eux on maintienne

Ce bon, cet excellent sujet.

C’est une criante injustice

D’avoir osé changer le sort

D’un homme, au gré de son caprice,

Nonobstant l’avis du plus fort.

Il faut tenir une assemblée

Pour tâcher d’en avoir raison,

Où notre cervelle troublée

Ne fasse rien qu’hors de saison.

Il faut que ce lieu magnifique

À tous nous serve de tombeau

Si l’on ne nous rend le tableau.

Cela seul est le point critique.

Nous avons le fer dans le sein,

C’est la cause de la blessure.

Il faut l’ôter, sinon en vain

Le plus habile médecin

Voudra-t-il panser l’ouverture

Qu’a faite ce fer inhumain.

Enfin que, malgré sa justice,

Prévost, le sévère censeur,

Avait feint d’être accusateur

Pour mieux couvrir son artifice.

Le tout par nous considéré,

Examiné, délibéré,

Vu les actions héroïques

De Tartarin et de Normant,

Et autres projets magnifiques

Que veulent suivre apparemment

Notre cher couple et sa séquelle,

Faisons moudre [?] d’abord compliment.

Que notre destinée est belle

D’avoir à notre avènement

Des sujets si remplis de zèle

Pour la gloire du Régiment !

Nous permettons les assemblées

À nos sujets les avocats,

Mais qu’elles soient bien ordonnées

Et que chacun y parle bas.

Voulons que de leurs entreprises

Ils ne voient jamais la fin,

Et quand leurs chefs seront aux prises,

Que le menu parte soudain.

Voulons qu’ils fassent un mémoire

Qui contiendra le désaveu

D’une pièce digne du feu,

Qui ne tend qu’à ternir leur gloire.

Leur défendons de le signer

De peur de le voir condamner ;

Qu’aucun imprimeur ni libraire

Ne s’avise de l’imprimer,

Vendre, exposer ou débiter,

Qu’il n’en soit mis qu’un exemplaire

Au plus dans notre chartrier

Où qui voudra l’aille copier.

Voulons leur donner l’avantage

De conserver leur liberté.

Un corps si libre et si vanté

Peut-il vivre dans l’esclavage ?

Pour ce, créons dès à présent

En vertu de notre puissance,

Par notre présent règlement,

Un office sans dépendance

De bâtonnier du Régiment.

Voulons que, pour sa récompense,

Tartarin, sans retardement,

En jouisse pendant un an,

Sauf à régler notre dépense

Pour fournir à l’appointement.

Voulons que le Roy lui succède,

Le Roy qui tout au bâton cède,

Qui jamais n’eût rien plus à cœur

Que de posséder cet honneur.

Et pour prévenir toute brigue,

Établissons qu’à l’avenir

On n’aura point lieu de choisir

Quelqu’un pour remplir cet office,

Que du jour de Saint-Nicolas,

Jour auquel finit l’exercice

Du bâtonnier des avocats ;

Celui qui quitte cette charge

Soit bâtonnier du Régiment

Pendant douze mois seulement.

Voulons qu’ils aient calotte large

Pour marquer leur distinction ;

Qu’au-dessus de cette calotte

Il porte une seule marotte

Pour représenter l’union.

Lui donnons en outre un bâton

Orné de grelots, de sonnettes,

Qu’il portera les bonnes fêtes

Sans craindre le qu’en dira-t-on.

Chose qui peu nous intéresse,

De quatre quartiers de noblesse

Nous dotons le poste susdit.

Et c’est pour qu’il ne soit point dit

Que nous avons mis à la tête

De notre ordre archicalotin

Un sot, un bélître, un gredin,

Mais la vertu la plus complète,

Voulons aussi que nos brevets

Ne soient valables désormais

Que fors [?] que par sa signature.

Pour rendre la chose plus sûre,

Le bâtonnier du Régiment

Aura donné son agrément.

Lui donnons encore la puissance

De faire le dénombrement

Du respectable Régiment

Soumis à notre obéissance

Et lui laissons la liberté

De le faire à sa volonté,

Sans que nul ose contredire

Ni se plaindre s’il est ôté.

Voulons que tout ce qui respire

Tremble sous son autorité.

Mais attendu qu’il ne peut faire

Seul une si pénible affaire,

Julien, Visinier et Normant

Lui donneront soulagement.

À cet effet pour leur service

Que personne ne peut nier,

Ils seront dudit bâtonnier

Conseillers en titre d’office.

Pour Prévost, le confus docteur,

Ses fonctions seront des plus vives.

Il sera notre promoteur

Et seul garde de nos archives.

Et vous, couple seul outragé,

Qu’une action si méritoire

Va couvrir votre front de gloire,

Votre honneur est assez vengé,

Jouissez de votre fortune.

Vous êtes enfin parvenus

Par une route peu commune.

Vous le voulez, soyez connus.

Donné dans notre capitale,

Le jour auquel les avocats

Sortirent sans bruit de leur salle

Et se tirèrent d’embarras.

Signé Saint-Martin, et plus bas, Momus.

Numéro
$4396





Références

F.Fr.15017, f°61r-67r