Aller au contenu principal

Calotte de Lacon

Calotte de Lacon
De par le dieu porte-marotte,
Nous, Général de la Calotte,
Savoir faisons que sans dessein
De favoriser le larcin,
Nous estimons qu’un tour d’adresse
Qui finement dupe et redresse
Les esprits les plus méfiants,
Peut réjouir d’honnêtes gens,
Le tout pourtant sans préjudice
Des droits attachés à justice.
Au Sieur Lacon, banquier d’honneur,
Et perpétuel gouverneur
Sur un fait que lui-même donne
Pour être fait en sa personne
Par tailleur nommé Lepignac
Qui, plus rusé qu’un auvergnac,
Lui prit un aulne et davantage
D’un drap d’or des plus précieux,
Quoique lui-même sous ses yeux
Se défiant du personnage,
Il eût fait sa veste couper
Pour ne point se laisser tromper.
Le tailleur, en voyant l’étoffe,
S’écria d’un air d’apostrophe :
Ah, Monsieur, le riche brocard !
Mesurons deux aunes un quart.
Voilà de quoi faire une veste
Très ample avec le parement,
Et ménageons un petit reste,
Deux mules prises justement
Pour Madame la gouvernante.
Mesure prise et drap coupé,
Lacon montre une âme contente
De n’avoir point été dupé.
Enfin un beau jour de dimanche
Le gouverneur, fier sur la hanche,
Se présente comme un trésor
Avec sa veste de drap d’or.
Mais plus la foule le contemple,
Et moins on trouve sa veste ample.
Est-ce donc la mode aujourd’hui,
Lui disait-on, de porter veste
Qui vous serre plus qu’un étui ?
Le tailleur a fait un beau reste.
En vain Lacon jure sa foi
Qu’il l’a vu couper devant soi.
Personne n’en voulait rien croire
Lorsque, pour couronner l’histoire,
Certain Suisse se présenta
Plus gros et gras qu’un Saint-Christophe
Portant veste de même étoffe,
Qui de bonne foi raconta
Que cette veste étant trop grande
Pour un homme des plus petits
Qui du néant furent sortis,
À son tailleur il la demande
Qui la mesura sur-le-champ
Et puis s’en va chez le marchand
Lever un aune moins un lèze
Du même brocard dont à l’aise
Il fit veste à l’homme fluet
Qui du tailleur fut le jouet
Et celui de toute la ville.
Mais rien ne troubla tant sa bile
Que lorsqu’il se fit rembourser
De sa charge municipale
De gouverneur de capitale
Sans espoir d’être remplacé.
À ces causes, vu le dommage
Qu’a souffert un banquier si sage
Et qui déplore amèrement
Sa veste et son gouvernement,
Lui donnons le titre honorable
De gouverneur irrévocable
De la grande foule des larrons
Qui peuple tous les environs
d’huissiers, tailleurs, meuniers, notaires,
Procureurs, greffiers, gens d’affaires.
Lui donnons pour ses revenus
Sur la * et * commune
Les fragments des ongles crochus
Coupés au décours de la lune.
Au surplus, nous lui faisons don
De restes du fameux cordon
Qui sert à la pompe funèbre
De ceux dont la mort est célèbre,
Cordon qui portera bonheur
Et profit audit gouverneur.

 

Numéro
$4103





Références

Lyon, BM, 751, f° 47