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Calotte de chef des curieux

Calotte de chef des curieux
Devant Aymon et Saint-Martin,
Généraux du corps calotin,
Gacon, jadis leur secrétaire,
Remontre qu’étant nécessaire
Pour la gloire du Régiment
De distribuer fréquemment
Des grâces et faveurs nouvelles
Pour porter d’heureuses cervelles
À suivre de nobles transports,
Dignes de cet illustre corps.
Ce considéré, l’on demande,
Par grâce et faveur très grande,
L’emploi de chef des curieux
Pour les Sieurs Bafombe et Joyeux.
Ces gens qui n’ont point assez d’yeux
Et qui, jour d’œuvre et jour de fête,
Aussi bien au matin qu’au soir,
Portés d’une ardeur très honnête,
N’ont d’autre désir que de voir.
Fait-on mourir gens à la Grève,
Fait-on publier paix ou trêve,
Entre-t-il des ambassadeurs,
Vante-t-on d’habiles plaideurs,
Fait-on discours académiques,
Fait-on des processions publiques,
Le Roi fait-il des Cordons bleus,
Les Pierrots font-ils l’exercice,
Fait-on jouer feux d’artifice,
Ils sont partout, on ne voit qu’eux.
En un mot ce sont personnages
Dont le peintre prend le visage
Pour composer les assistants
Des almanachs de notre temps.
Il est vrai qu’ils sont ceux-là même
Qui, montrant un mépris extrême,
Pour ceux que l’on nomme badauds,
Les traitaient ci-devant de sots ;
Mais venus à résipiscence,
Ils trouvent un plaisir immense
À aller, en vrais Parisiens,
Voir des bagatelles, des riens,
Jusque là qu’ils iront sans faute,
Dimanche, jour de la Pentecôte,
Voir les habits des cordons bleus,
Qui seront, disent-ils, tout neufs,
Au grand hasard d’être à Versailles
Chèrement couchés sur la paille,
D’être bourrés par les huissiers
Ainsi que vile populace,
Et rebuté des officiers
Auxquels ils demanderont place,
Heureux s’ils ne reviennent pas
Perclus d’une jambe ou d’un bras,
Et que pour couronner la fête,
Ils ne soient blessés à la tête
Jusqu’à ne pouvoir guérir
De la passion de courir
Et d'aller voir tout ce qui brille
À la tête de leur famille,
Afin qu'en bourgeois de Paris,
La curiosité louable
D'aller voir objet mémorable
Se transmette de père en fils.
Sur ce, Messeigneurs, je vous prie
De mettre dans la compagnie
Des assistants et des voyeux
Des regardants et des bâilleux,
Lesdits sieurs Joyeux et Bafombe,
Dont l’esprit aujourd’hui succombe
Au devoir noble et véhément
D’être mis dans le Régiment,
De porter cordon et marotte,
Et surtout la double calotte
Pour choyer le chef précieux
De ces Messieurs les curieux,
Gens qui préfèrent la cohue
Où l’on se presse, où l’on se tue,
Aux plaisirs doux et tempérés
Du plus charmant des prieurés,
Séjour aimable où la nature
Se montre si belle et si pure,
Et dont le prieur calotin
N’a pas de quoi faire festin,
Mais reçoit bien la compagnie
Lorsqu’elle arrive bien fournie.
En cela croyant faire honneur
À tel qui, béni du Seigneur,
Y porte pour manger et boire,
Ne se piquant de fausse gloire,
D’autant que, ne fournissant rien
Que la maison et l’ustensile,
Et quelques vers d’un tour facile,
Il y met encore du sien.

 

Numéro
$4173





Références

Lyon BM, MS 750, f°213v-214v - Lyon BM, MS 751, f°51v-52v