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Condamnation du testament de M. Huet par le Régiment de la Calotte

Condamnation du testament de M. Huet
par le Régiment de la Calotte
Nous, Huet, évêque d’Avranches,
Sous-précepteur de Monseigneur,
D’une volonté libre et franche,
Sain de corps, d’esprit et de cœur,
Dans notre quatre-vingt-douzième,
Touchant au bord du monument,
Pour rendre compte au Dieu suprême,
Déclarons par ce testament
À la justice du Parnasse
Que depuis peu certaine race
De gens oiseux et fainéants,
Vrais antipodes du bon sens,
Ennemis de toute science,
Depuis l’an mil sept cent neuf,
Dans un cabaret du Pont-Neuf,
Au grand déshonneur de la France,
Par une indigne trahison,
Conjurent contre la raison
Et ramènent la barbarie
Qui déjà, s’étendant sur tout,
Tant en prose qu’en poésie,
Fait triompher le mauvais goût ;
Que, pleins d’une fureur gothique,
Ces ignares et non lettrés,
Dans un noir complot sont entrés
Pour abolir le goût antique
Comme très grossier et moins beau
Que le goût moderne et nouveau ;
Goût raffiné, cherchant la pointe,
Auquel la vanité conjointe
Aujourd’hui donne un si grand prix.
Qu’ils se disent seuls beaux esprits,
Bien que pour échauffer leur veine
Et mettre leur Pégase au trot
Ils ne connaissent d’hypocrène
Que le froid café de Ragot.
Ledit testament olographe
Signé Huet, avec paraphe.
Nous, calotins, de par Momus,
Ce testament ut vidimus
Où le savant Huet s’égare
Et traite de cabale ignare
Les illustres suppôts d’Houdard,
Ce rimeur plein d’esprit et d’art,
Restaurateur des Belles-Lettres,
En prose tout ainsi qu’en mètres,
Et digne des protections,
Grades, honneurs et pensions
Qu’il reçoit en Cour comme en ville,
Pour avoir su par son beau style
Rétablir ce qu’avait gâté
Le zèle pour l’antiquité.
À ces causes, par ces présentes,
Déclarons ledit testament
Rempli de vérités choquantes
Sans fard et sans déguisement.
Voulons qu’on en prenne une note
Es registres de la Calotte
Comme étant un trait calotin
D’un homme qui tend à sa fin,
Oubliant que le grand Porée
Dont l’éloquence est admirée,
Mit ce Houdard, ainsi que lui
Et Fénelon, comme trois hommes,
La gloire du siècle où nous sommes,
Lequel cependant aujourd’hui
Par testament diffamatoire
Est dégradé de cette gloire
Et mis dans le nombre des gens
Qui n’ont ni raison ni bon sens.

 

Numéro
$4180





Références

F.Fr.12654, p.21-23 - F.Fr.25570, p.348-50 - Lyon BM, MS 750, f°235r-236r - Lyon BM, MS 751, f°81r-82r