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Nouvelles calotines

Nouvelles Calotines1

Le 28 de mai passé, le Marquis de Livry donna un magnifique repas, dans son château, à trente des principaux officiers, et des plus distingués du Régiment de la Calotte : l’on tint table pendant 4 heures, après quoi l’on sortit pour élire un général à la place du feu Sieur Aymon, d’heureuse et gaillarde Mémoire. Ces officiers s’assemblèrent dans une grande salle, où le Sieur de Saint-Martin, colonel du Régiment, porta le premier la parole, sur la nécessité qu’il y avait que le Sieur Aymon fût incessamment remplacé : Supposé, dit-il, qu’il puisse être remplacé. Car, Messieurs, vous conviendrez avec moi que c’était la perle de tous les généraux, et que la Marotte n’en avait jamais formé de si parfait. Momus seul, Momus lui-même, peut le louer dignement ; c’est pourquoi je me tais, de peur d’avilir, par mes expressions, le mérite infini de cet homme incomparable.

Aussitôt que le Sieur de Saint-Martin eut parlé, le greffier en chef du Régiment lut les statuts du corps ; ensuite de quoi l’on procéda, par voie de scrutin, à l’élection du général. Tous les suffrages se trouvèrent réunis en faveur du Sieur de Saint-Martin, qui est lieutenant aux Gardes Françaises, et Calotin par excellence. Aussitôt le héraut du Régiment le proclama à haute voix. L’on entendit en même temps les tambours et les fifres, accompagnés des fanfares et de tous les autres instruments du corps, applaudir à cette proclamation. L’on arbora les étendards, les guidons et les autres trophées les plus éclatants du Régiment. Les rats du château de Livry, à ce que l’on dit, tressaillirent de joie à ce bruit, et firent aussi de leur côté un agréable charivari dans les galetas, les greniers, les granges et les caves.

Chut ! dit le poète Piron, Orateur du régiment2  : chut ! que tout soit attentif à ma voix. À ces mots, tout le monde se tut, et l’orateur prononça une harangue en vers3 à la louange du général défunt et du nouveau. Il le fit avec une éloquence qui épuisa les applaudissements et les rires de tous les auditeurs. Dès que l’orateur eut fini son discours, on passa tous les trophées du Régiment sur la tête du Général, qui ensuite répondit, dans les termes les plus sérieusement comiques, à la harangue du Sr. Piron. En même temps il fut conduit en grande pompe, au bruit des fanfares, dans un salon superbe, où il y eut une profusion inouïe de rafraîchissements de toute espèce, et particulièrement de bachiques les plus exquis. Tous les électeurs arrosèrent abondamment l’élection ; le Général se signala sur tous les autres en cela, aussi bien que par un grand nombre d’exploits les plus facétieux. Enfin cette journée fameuse sera éternisée dans les fastes calotins.

P.S. – On assure, et de bonne part, que l’Abbé de Vayrac, Chancelier et Secrétaire du Régiment, a été chargé de faire l’oraison funèbre du défunt et l’éloge historique du nouveau Général. On ne doute point que ce digne Calotin ne s’acquitte de cette importante commission, du moins avec autant d’esprit et de finesse qu’il en fit admirer dans le Panégyrique de Saint Louis, qu’il s’était chargé de prononcer pendant son séjour en Hollande : siluit optimo fecit.

  • 1 1731.
  • 2 Ce poète a beaucoup d’esprit, et du plus sublime de la Marotte.
  • 3 On la trouve ci-après.

Numéro
$4126


Année
1731




Références

1732/1735, III,123-25 - 1752, III,123-25