Aller au contenu principal

Brevet pour M. Ferrant, capitaine aux Gardes

Brevet pour M. Ferrant, capitaine aux Gardes1
De par le dieu de la Marotte,
À tous juges de la Calotte,
Suppôts de notre autorité,
Honneur, argent, joie et santé.
Les ris étant de notre empire
L’un des plus importants objets,
Nous chérissons tous les projets
Dont le vrai but est de détruire
Ce qui peut empêcher de rire
Nos amés et féaux sujets,
Et comme Dame Libithine
Ne fait qu’effaroucher les jeux,
Comme aux rivages ténébreux
Les morts, dit-on, font grise mine
Et qu’ici leurs amis vivants
Font les tristes pour quelque temps,
Avec un plaisir authentique
Avons reçu l’humble supplique
De l’officier le plus savant
Qui soit dans notre Régiment,
Portant que cette paix cruelle,
L’ouvrage d’un ministre actif,
Tenant son courage captif,
Sans nous devenir infidèle
Des beautés tournant la cervelle,
Il pouvait en héros oisif,
Par mainte conquête nouvelle
Nous faire un régiment femelle,
Et même doubler parmi nous
L’escadron des maris jaloux.
Mais qu’il laisse à ses subalternes
Toutes les tendres balivernes
Afin de se mettre en état
D’être plus utile à l’État.
Qu’en curieux naturaliste,
Suivant la nature à la piste,
Il a trouvé des moyens prompts
De guérir les noyés à fond ;
Que l’onde ne fait que restreindre
Leur chaleur, sans pouvoir l’éteindre,
Et quand elle eût pu s’exhaler,
Qu’il ne faut que la rappeler ;
Que sa méthode est appuyée
Par plus d’une mouche noyée
Qu’on voit le soleil réchauffer
Quand l’eau paraissait l’étouffer ;
Qu’étant certain que le feu touche
Un homme aussi bien qu’une mouche,
Il est sûr qu’il ranimera
La chaleur que l’eau concentra
Et qu’au gré de sa docte envie
L’on pourra sans un grand effort
Voir les eaux froides de la mort
Céder au feu de l’eau-de-vie ;
Que, quoiqu’en ayant essayé,
Le succès ait trompé sa peine,
La chose n’est pas moins certaine,
Cet homme étant très mal noyé
Ce qui, pour ce nouveau miracle
Fut peut-être un puissant obstacle.
Partant, requérait un brevet
Pour user seul de son secret.
Nous, voulant lui donner des marques
D’une juste protection
Afin qu’il pousse ses remarques
Au degré de perfection,
Désirant par des récompenses
Porter les favoris de Mars
À rêver sous leurs étendards
Au progrès des hautes sciences,
À la culture des beaux-arts,
À cet émule de saint Cosme
Nous octroyons avec plaisir
Le privilège de guérir
Tous les noyés de ce royaume
De toutes les eaux de l’État.
À l’exclusion de tout autre,
Voulons que sans aucun débat
Il soit reconnu pour l’apôtre.
A ce titre lui permettons
De faire le long des rivières
Bâtir de petites maisons
Pour loger les provisions
Et tous ses commissionnaires.
Plus, voulons que tous les noyés
Qu’il aura rendus à la vie,
Soient par ce fait même engagés
À servir dans sa compagnie
Sans espérance de congé.
Et si quelque femme se noie,
Comme ce n’est pas grand malheur,
Ordonnons qu’elle le soudoie
De quatre fois plus de liqueur
Que pour sa cure il n’en emploie.
Enjoignons à tous nos sujets
De se bien noyer désormais.
Fait à notre Conseil suprême
Dans notre palais de Système,
Signé de notre propre main,
Momus, et plus bas Saint-Martin.

  • 11727. Voici ce qui a donné occasion à ce brevet. Le valet d’un gendarme, ou chevau-léger de la Garde, s’étant noyé en menant à l’abreuvoir les chevaux de son maître à Fontainebleau, M. Ferrant entreprit de le faire revivre plusieurs heures après sa mort, en le mettant sur un tonneau couché le ventre dessus et remuant le tonneau pour faire sortir l’eau, le faisant ensuite envelopper dans un drap trempé d’eau-de-vie auquel il voulut ou fit mettre le feu. Le mort ne revint point à la vie (M.)

Numéro
$4286


Année
1727




Références

F.Fr.1254, p.239-43 - F.Fr.15017, f°227r-231r - Arsenal, 3359, p.244-48 -BHVP, MS 664, f°150r-154r - Lille BM, MS 63, p.156-162