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Brevet de grand minutier du Régiment

Brevet et lettres patentes de grand minutier du Régiment de la Calotte

pour le Sr Arnault de Boex

Le Régiment dont les soldats

S’estiment rois, ou nés pour l’être,

Et dont Momus est le seul maître,

Sachant que jeunes magistrats

Pour imiter le vol des aigles,

Méprisant Barthol et Cujas,

S’élèvent au-dessus des règles,

Traitent de puérilités

Les rubriques et formalités

Créatrices de tout office

Par qui vient au juge l’épice

À l’avocat gros écus blancs,

Au procureur chapons du Mans,

Par qui le monde se police

Et tomberait dans le néant,

N’étaient ces graves jeux d’enfants,

Ces balivernes établies,

Rempart de vulgaires génies,

Le Régiment du dieu railleur,

Asile de tout vétilleur,

Entend et veut qu’on reconnaisse

En carrosse et sur l’échafaud

Notre cher et féal Arnauld

Non de Pomponne, mais de Boex,

Au sourcil cauteleux et fin,

Dont l’œil circonflexe et malin,

Le regard jaloux et faoruche,

Extermina le grand Cartouche,

Ce brigand d’infâme renom

Qui, par mépris ou par malice,

Lui cacha tout, jusqu’à son nom,

Et ne l’avoua qu’au supplice.

Scipion, ce héros romain,

À titre d’honneur et de gloire,

Porta le surnom d’Africain

En mémoire de la victoire

Qui dompta les Carthaginois,

De même Claude l’Angoumois

Pour immortaliser sa souche

Et la famille de Boex,

Grand nom renouvelé des Grecs,

Prendra celui d’Arnaud Cartouche

Et même plus superbement

Prenant place en nos litanies

Est nommé par ce mandement

Inquisiteur des minuties,

Grand minutier du Régiment,

Pour observer longues et brèves

Pour distinguer le pois des fèves,

Les fractures d’avec les coups,

Les fêlures d’avec les trous.

De plus, le nommons commissaire

Pour discipliner nos prisons,

Bicêtre, Petites-Maisons,

Saint-Lazare, La Salpétrière,

Voir si nos prisonniers joyeux

Sifflent, cognent, parlent entre eux.

Et de faire rapport à Versailles,

Comme cas important au Roi,

Qu’ils font maints pertuis aux murailles

Contre l’ordonnance et la loi.

De cette exacte vigilance

Dépend le salut de la France.

Or, comme ce grave métier

Ces lanternages, ces enquêtes

Veulent un homme tout entier,

Et même un Maître des Requêtes,

Sachant qu’au grand ne réussit

Qui par goût s’attache au petit,

Commettons ledit commissaire

Grand minutier du Régiment.

Aux petits détails seulement

Sans toucher au fond de l’affaire,

Voulons que ses soins soient bornés

À bien tirer les vers du nez

Par subit interrogatoire

À quelques captifs consternés ;

Poser scellé sur mainte armoire,

Se montrer en toutes façons

Avide chercheur de chiffons,

Grand déchiffreur de logogriphe

Et, surpassant les Mabillons,

À déterrer acte apocryphe ;

Sur un peuple de prisonniers

S’établir un petit empire

Par sergents, recors et geôliers ;

Se faire admirer et conduire

D’un air altier, d’un regard sec,

D’un cerveau qui toujours rumine

Plus sombre que tête à vandek [sic]

Ventre gonflé, main sur l’échine,

Mépriser leur salamalec,

Lancer des œillades mortelles,

Tenir maints effrayant discours

Aux pauvres reclus dans nos tours,

Qui par des flatteries nouvelles

Lui crieront tous, Monseigneur l’Ours

Ah ! que vos quenottes sont belles !

À quelque artisan ingénu,

À la servante maritorne

Arracher secret inconnu

En les menaçant par les cornes

De Belzébuth et du bourreau.

Tels sont les talents et les bornes

Du Sieur Bouex, homme nouveau.

Quelquefois plus doux qu’un agneau,

Sa clémence recommandable

Par maints exploits se signala.

Quoiqu’il porte un front tout semblable

À feu César Caligula,

L’on vit à la Conciergerie

Un orfèvre cartouchien,

Qu’en faveur de l’orfèvrerie

Il reconnut homme de bien.

Et de plus tout le monde avoue

Que présent à la question

Au fouet, au gibet, à la roue,

Il souffrait mort et passion,

Bien qu'en revenant de la Grève

Ne fit jamais que joyeux rêve,

Comme il s'en est partout vanté

Pour prouver son humanité,

Aux malheureux étant propice.

Choisissons ce doux naturel

Pour présider à la justice

Comme lieutenant criminel,

Et connaissant sa suffisance

Qu'absorbent les susdits emplois,

Ne voulons qu'il prenne licence

D'entrer dans le Conseil des Rois,

Prévoyant accident sinistre

Ni même qu'aucun potentat,

Empereur, Roi, Doge ou Ministre

Lui commette affaire d'État.

Mais pour le faire vivre au large,

Par appointement annuel,

Dans l'honorable et triple charge

Comme lieutenant criminel

De nos prisons le commissaire,

Grand minutier du Régiment,

Lui donnons outre l’honoraire

Un quint perçu journellement

Sur tous les châteaux en Espagne

Des martyrs de l’ambition

Dont l’esprit comme la montagne

Enfante rats et visions ;

Sur faux serments, bourdes, promesses,

Ris forcés, louanges, caresses

Qui font sortir les vers du nez

À la ravaudeuse maussade,

Qui font donner l’estrapade

Aux misérables condamnés.

Lui communiquons d’abondance

La miraculeuse puissance

De pouvoir tondre sur un œuf,

De réaliser les fantômes,

Grossir d'invisibles atomes

Et dans un rat trouver un bœuf.

En faveur de sa renommée

Lui déléguons deux mille écus

Sur les vents, odeurs et fumées

Des roués, brûlés et pendus.

À sa santé veillant encore,

Son chef de calotte coiffé

Pour que cerveau ne s’évapore,

Ne voulons qu’il prenne ellébore

Ains qu’il s’enivre de café

Pour se procurer l’insomnie.

Calotins, gais comme piverts,

Enclins à forger romancie,

Doivent dormir les yeux ouverts,

Et l’on dira partout que l’homme

Pour le salut de cet État

Ne prenant ni repos ni somme

Toutes les nuits court le sabbat.

Enfin, pour couronner son zèle,

Ses ambitieux appétits,

L’associant à Fontenelle,

Lui donnons la dîme nouvelle

Sur les infiniment petits.

Fait au septième millénaire

L'an vingt-cinq de l'ère lunaire

Dans le conseil de nos États

Par brevet et loi permanente

Visé d'Aymon sur la patente

Et Saint-Martin signé plus bas.

Numéro
$4211





Références

F.Fr.9353, f°303r-306v  F.Fr.12654, p.121-128 - F.Fr.12785, f°25r-31v - F.Fr.15016, f°39r-46v - F.Fr.20036, p.323-332 (sic) - F.Fr.25570, p.326-32 - Nouv.Acq.Fr. 2485, f°50r-53r - Arsenal, 3359, p.181-87 - Grenoble BM, MS 587, f°119r-122r - Lille BM, MS 62, p.188-99