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Brevet en faveur du Sr d’Argouges, lieutenant civil

Brevet en faveur de Sr. d’Argouges, Lieutenant civil
Aymon, prête-moi ta marotte
Pour étriller un maître-fat ;
Ce fat, dont Bullion rabat
La vanité risible et sotte.
Vois cependant ces airs grondeurs,
La morgue en son front dominante,
La rogue en ses yeux menaçante.
Avocats, huissiers, procureurs,
Objets soumis à ses fureurs,
Abhorrent sa face arrogante ;
Chacun déteste ses hauteurs.
Pétri d’orgueil, de petitesses,
Par ses rebuts, par ses lenteurs,
Il fait valeter les plaideurs
Asservis à mille bassesses.
Devant sa toilette ajusté,
Seul il promène sa prestance,
Fait des gestes, prend contenance,
Minutant à sa volonté
Quelque détour à l’ordonnance.
Dans ses caprices entêté,
De prévention infecté,
Il s’achemine à l’audience
Où le conduit l’iniquité.
Là, crédit, biens, rang, qualité,
Tout par lui mis dans la balance,
Le seul bon droit est rejeté.
Plein de manèges, de souplesse,
Par ses hypocrites adresses,
Cachant le vice de ses mœurs,
On le voit courir les grandeurs
Dans le vil sentier des finesses.
Doux à la Cour, et patelin,
Au parc, civil, fier et malin,
Sot contraste, et fade nuance,
Gentil censeur, Pasquin de France.
Momus, reçois ce candidat
Que je t’amène en ta séance.
Lors Aymon fait sa remontrance :
Le candidat a des noirceurs ;
Dans notre ordre on n’immatricule
Que l’agréable ridicule.
Quel est son titre ? des fadeurs
À mériter cent coups de berne,
Non les symboliques honneurs
Qu’à nos chevaliers on décerne.
Un calotin compartiteur
Soutient que ses minauderies,
Ses singulières momeries
Sont dignes de quelque faveur ;
Qu’attendu l’insigne marotte
Qu’on lui connaît pour le placet,
L’accessoire d’une calotte
Lui va de droit, et le brevet.
Aymon, suivant le formulaire :
Momus a dit, et nous disons.
À nos amés savoir faisons,
Que d’Argouges, notre confrère,
Des calotins soit respecté.
En cette belle dignité
À merveille il jouera son rôle,
Faisant avec sa gravité,
Le chef tourné dessus l’épaule,
Sans aucune distinction,
Des saluts de protection.
Réfléchissant par chaque glace
Minauderies sur sa face,
Dont il gracieusera ses traits ;
À tous plaideurs faisons défense
De marquer leur impatience,
Vu que pour attendre ils sont faits
Debout, suivant la convenance,
Placet en main soient aux aguets
Pour offrir à Son Excellence
Dans le moment de bienséance
Dix, quinze, vingt, trente placets ;
Somme totale : une audience.
Désormais ils seront donnés
Avec la triple révérence
Non point sur papiers griffonnés,
Ce qui dégénère en licence,
Mais sur parchemins burinés,
De glorieuse lieutenance
Hiéroglyphiques monuments.
Sans quoi le laps de quelques ans
En éteindrait la souvenance.
Ce faisant, la Postérité
Dira de lui, dans un langage
Obscur, pédantesque, affecté
Que vont quidams mettre en usage :
D’Argouges, en fait d’héritage,
Homme habilement successif,
S’est fait honorer dans un âge
Où l’on était fort processif.
Il est des hochets pour le sage.
Le placet fut son optatif ;
Un prévôt de noble lignage
Le traitant de juge chétif,
Le fit cent fois bouquer de rage,
Dont il passa là-bas l’esquif
Ne payant son droit de naulage
Que de son tic salutatif.
Fait en vingt-six, le dix décembre,
Dans un coin de son antichambre.

 

Numéro
$4099


Année
1726




Références

1732/1735, III,51-54 - 1752, III,51-54 - F.Fr.9353, f°189v-193r - F.Fr.12785, f° 60 r-161r - F.Fr.15016, f127r-130r - F.Fr.25570, p.377-380 - Arsenal, 3128, f°168r-169v - Arsenal 3134, f°261r-262v - Arsenal, 3359, p.255-259 - Bordeaux BM, MS 693, p. 616-618 - Bordeaux BM, MS 700, f°344v-350r - Grenoble BM, MS 587, f°126v-128r - Lille BM, MS 63, p. 1-8 - Lyon BM, MS 754, f°167v-169v