Brevet du Sieur Michon dit La Noix
Brevet du Sieur Michon, dit La Noix
De par le dieu de la Marotte,
Nous, Général de la Calotte,
À Michon, surnommé La Noix,
Salut. Comme plus d’une fois
Il a donné par suffisance
Des preuves de son excellence
Dans l’art de chanter proprement
Ainsi que méthodiquement,
Désirant lui faire justice,
Le créons en titre d’office
Maître à chanter du Régiment,
Pour exercer dès à présent
Ladite charge avec licence
Dans toutes les villes de France,
Si mieux n’aime habiter Lyon.
Toutefois sous condition
Que gratis et sans nul salaire
Il prendra pour écolière
La douce et timide Huguenot,
En dépit de la Dame Hullot,
Dont la méthode est trop usée,
Fade, insipide, surannée,
Et qui, malhabile en son art,
Fait chanter comme Thévenard.
Lui donnons de plus carte blanche,
Plein pouvoir et liberté franche
De grimacer en fredonnant
Et d’enseigner conséquemment
Toute veuve, femme ou pucelle
Qu’il croira digne de son zèle,
Sans qu’aucun homme du métier
Puisse sur ce l’inquiéter.
Voulons en outre qu’il débite
Sa gentillesse, son mérite,
Ses quolibets, son air badin
Auprès du sexe féminin,
Étant dans le patelinage
[?] et savant personnage.
Plus, pour ne rien mettre au hasard,
Nous avons déclaré sans fard
Que, comme l’ingrate nature
Ne l’a pas fait d’une couleur
Propre à chanter à l’Opéra,
Concerts publics et cœtera,
Ledit Michon en chambre close
Enseignera, quoi qu’on en glose,
Comme on chevrote du gosier
Par jour, mois, semaine ou quartier
Suivant la grandeur de la ville
Qu’il élira pour domicile,
En province ou bien à la Cour,
Afin que chacun à son tour
Tire des profits efficaces
De ses talents et de ses grâces.
Plus, voulons que ledit Michon
Soit traité comme de raison
En conséquence de sa charge.
Avons assigné pour son gage
Par un irrévocable arrêt,
Tout l’argent que la Desmarets
Aura de trop en fonds de caisse,
Attendu que cette jeunesse
Sans pitié pour les malheureux,
Sans craindre le courroux des cieux,
Rançonne on ne peut davantage
Tous les histrions de passage.
Plus, Nous, Général calotin,
Tenant pour principe certain
Qu’un orateur est nécessaire
À notre troupe militaire,
Pour être en termes clairs et nets
L’apologiste de nos faits,
Par surcroît de munificence
Et de notre pleine puissance,
Avons nommé ledit Michon,
Rhéteur de notre légion,
En vertu de la haute estime
Où l’a mis la grandeur sublime
Du style et des tours merveilleux,
Inconnus à tous nos aïeux.
Témoin la beauté pathétique
De son discours académique,
Où, suivant [?] Marivaux, Lafon [?]
Plus que Chapelle et Pellisson,
Par une double allégorie
Digne d’une si rare génie,
Les Barbier, les Ménétrier
Eurent place par préférence
Aux Deshoulières, aux Dacier,
Quoi qu’en pût dire l’assistance,
Ce qui prouve suffisamment
Son goût et son discernement
Pour l’éloge et pour la critique
En fait de nos prose et musique.
De tout ce, dûment informés,
Mandons à nos chers et amés,
Les gens gardés de nos registres,
De l’inscrire sous ces deux titres.
Lui donnons par provision
La triple calotte de plomb,
De peur que par le moindre pore
Tout son esprit ne s’évapore.
Lyon BM, MS 752, f°7-10