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Brevet du Régiment de la Calotte pour MM. les chanoines de l’église Saint-Jean et comtes de Lyon. 1744

Brevet du Régiment de la Calotte
pour Messieurs les chanoines de l’église de Saint-Jean et comtes de Lyon
De par le dieu porte-marotte,
Nous, les Régents de la Calotte,
Remplis d’un désir véhément
D’illustrer notre Régiment
Par des gens d’un mérite rare
Dont le siècle n’est point avare,
À nos amés, chers et féaux,
Gens notables et commensaux,
Salut. Ayant su qu’un chapitre,
Chanoines fiers d’un vain titre,
Comtes, prêtres mal décidés,
Savants jusqu’à l’ABCD,
Sommeillant d’une sainte ivresse
Près de vieux titres de noblesse,
Ne chantant que des Oremus
À la chapelle de Bacchus,
Malgré cette insigne mollesse
Ont depuis peu fait une action
Dans notre ville de Lyon
Très digne d’être dans l’histoire
Gravée au temple de Mémoire.
Ayant arrêté la rumeur
Des taffetatiers en fureur,
Insultant et faisant la nique
Aux magistrats et commandant
Pour certain droit de la Fabrique
Dont ils réclamaient à l’instant
L’arrêt de rétablissement.
Toute l’effrénée cabale
Vint en foule à la cathédrale
Implorer de ces fainéants
Leurs appuis et secours puissants
Dans une affaire capitale1 .
Le cas étant des plus pressants,
Aussitôt l’on tint le chapitre ;
L’on y feuilleta le registre
Des harangues et compliments.
Tous, par des avis salutaires
Voulaient se rendre nécessaires.
Enfin, sur ce point important
Fut député le fier Dortan2
Qui d’un pas grave s’avançant
Sur le saint parvis de l’église
Pour haranguer la troupe grise.
Sitôt que l’orateur parla,
Le calme au trouble succéda,
Et de vive reconnaissance
Tout le corps des taffetatiers
Satinaires et guimpiers
S’écrièrent : pour récompense
Nous le ferons notre échevin3 .
Savant en grec comme en latin
Mieux que Cicéron et Térence,
Il aura les contraventions ;
Par une loi plus claire et nette
Il résoudra toutes questions
Des règlements de la navette.
À cette grande acclamation
Notre orateur de condition,
Enflé d’une si belle fête,
Y donna son approbation
Par quelques légers coups de tête,
Vrai signe de protection ;
Plus en plus, protecteur fidèle,
Voulant encore prouver son zèle
En beau génie calotin
Leur écrivit le lendemain
D’une érudition nouvelle
Que l’arrêt par eux demandé[fn] Précis au vrai de la lettre écrite à ces ouvriers taffetatiers par le Comte Dortan au nom de son chapitre. Elle est curieuse par son style plat ; le mot de possible et d’impossible y est répété plusieurs fois (M.).
Avec dernières instances
Au grand contrôleur des finances
Plus d’un mois serait retardé
Mais qu’ils devaient rester tranquilles,
Faisant pour eux des impossibles.
Si bien impossibilité
Que cet impossible attesté4
Fut imprimé, lu et vanté.
Et pour finir, s’il est possible,
Sa longue et plate diction.
Ainsi finit sa locution :
Obligeront leur très sensible5
Serviteur, le comte Dortan,
Le sceau des armes y étant.
À ces causes, vu la science,
Le bon sens et l’expérience
Du grand Dortan, esprit profond,
Et de toute la noble église
Chanoines, comtes ou barons,
Voire qu’aucun n’y contredise,
Voulons, nous plaît, nous dits Régents,
De Momus fidèles agents,
Les admettre parmi les nôtres
Comme l’étaient nombre d’autres.
Les nommons par ce mandement
Grands aumôniers du Régiment,
Orateurs en titre d’office
De notre brillante milice.
Plus, voulons despotiquement
Qu’ils composent nos ordonnances
D’un style fleuri, éloquent.
Leur accordons pareillement
Mêmes pouvoirs, mêmes licences
De fabriquer élégamment
Dans nos fêtes calotières
Les devises ou inscriptions
De nos augustes bataillons
Des feux de joie, des bannières
Trophées et enseignes à bière6 .
Au surplus leur faisons le don
De fortes calottes de plomb
Doublées de fines écarlates
Exhalant musc et aromates,
Où seront mis des oreillons
Girouettes, rats, papillons,
Item, sonnettes des plus fines
Pour carillonner aux matines.
Ajoutons à cet ornement
Le grand écu du Régiment
Qui, dans l’endroit de leur tonsure,
Pour décorer leur chevelure
Sera gravé distinctement
Du timbre des premières classes.
Excitant par un si haut prix
Tous les rares et beaux esprits
De mériter nos bonnes grâces,
Et qu’honorés avec éclat,
Distingués du petit rabat,
Voulons qu’à la boutonnière7
Ils portent notre médaillon,
Et soit mis en bandoulière
Notre illustre et large cordon.
Leur donnons pour profits et gages
Vingt mille écus sur les grands airs
Des plus importants personnages
Tant deçà que delà les mers ;
Airs qu’exhale une âme hautaine
De son propre mérite pleine.
Enjoignons à tous nos sujets
De ne point les voir de trop près
De peur que cette tentative
Ne nuise à pareils héros
Qui, faisant toujours le gros dos,
Comme une belle perspective
Ont souvent les traits un peu gros8 ,
Suivant notre ancienne formule,
Sur les fins de la canicule9 .
Le tout conclu très sagement
Dans le conseil du Régiment
En la tierce nouvelle lune
De l’ère à nous seuls commune.
Par calcul juste et précis
De nos bacchanales le dix.

  • 1Environ 300 ouvriers taffetatiers furent par délégation implorer la protection de MM. les comtes de Saint-Jean. A leur arrivée, on assembla le chapitre, et M. le Comte Dortan fut chargé de leur dire sur le parvis de l’église où ils étaient assemblés, que son noble chapitre écrirait au Roi en leur faveur et ferait son possible pour leur faire rendre justice (M.).
  • 2Comte de Saint-Jean, homme extrêmement haut et vain (M.).
  • 3Ceci n’est point une plaisanterie. Je m’y trouvai présent par hasard. Il est vrai que ces ouvriers s’écrièrent tous : Nous le voulons pour notre échevin ; il réglera bien les contraventions. Et ensuite ils s’en allèrent gais et contents des promesses que leur fit M. Dortan au nom de son chapitre. Cette scène se passa mot pour mot comme je l’ai ici décrite (M.).
  • 4Je mets ici par dérision à plusieurs reprises ces mots de possible et d’impossible, qui étaient réellement dans la lettre du Comte Dortan qui fut imprimée et distribuée dans toute la ville. Il y eut plus de mille copies répandues dans les boutiques et cafés, gratis. On en verra un exemplaire joint à cette collection (M.).
  • 5 Fin de la construction de la lettre du Comte Dortan qu’on a transcrit ici presque mot à mot (M.).
  • 6Il arriva dans le dit temps, cette année 1744, que MM. les comtes firent dresser un feu de joie dans leur place Saint-Jean pour honorer la convalescence du Roi (tombé malade à Metz) où ils mirent une inscription latine très plate et d’un vrai latin de cuisine (M.).
  • 7Ce fut précisément cette année 1744 que le Roi les honora du cordon de la Grande Croix matérielle qu’ils portent et qu’ils ont encore diminué depuis. Ils en firent aussi des petites pour porter à la boutonnière en habit de campagne. Cette grande et lourde croix fut longtemps la risée du public ; on se moquait aussi de leur large cordon rouge liseré d’un petit ruban bleu. On disait que le cardinal de Tencin, à la sollicitation de qui ils avaient obtenu cette croix, leur faisait porter sa livrée, dont le drap réellement était rouge avec des petits galons bleus (M.).
  • 8Tout le monde sait combien ces Messieurs sont enflés d’un orgueil insupportable ; on en voit cependant de modérés et d’un grand mérite (M.).
  • 9Ce brevet de la calotte fait et répandu dans la ville à la fin du mois d’août 1744, même mois et année de la sédition des taffetatiers (M.).

Numéro
$4207


Année
1744




Références

Lyon BM, MS 53, f°20-26