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Brevet de patron du Régiment en faveur de M. Pâris, diacre

Brevet de patron du Régiment

en faveur de M. Pâris, diacre

De par le dieu de la Calotte,

Salut à la troupe dévote

Qui fait tant de bruit dans Paris,

Aux harengères, aux princesses,

Aux chapeliers, aux duchesses

Qui s'en vont en procession

Lui prouver leur dévotion,

Aux Messalines, aux Lucrèces,

Marmottant au saint leurs détresses

Pour obtenir leur conversion

Ou plus grande componction,

À fillette jeune et jolie

Après neuf mois d'hydropisie

Par la nature bien mesuré

Sur le sacré tombeau guérie,

Aux malades désespérés

Des plus tristes maux délivrés,

Comme femelle d'aphonie,

Bateleurs de paralysie,

À tous les Suisses d'éthisie,

A jamais guéris de phtisie,

Aux cerveaux qui, jadis timbrés,

Laissant leur vieille frénésie

Croient par autre illusion

Avoir quelques brins de raison,

Aux avocats qu'il a fait taire,

À ceux qu'il a mis en colère,

Aux muets qu'il a fait parler,

À ceux qu'il a fait exiler,

À la faculté qui s'en moque,

À l'archevêque qui s'en choque,

Tandis que par tout l'univers

Il est prôné par les fraters,

À tous les saints de date antique

Qui, moisissant en paradis,

De ce nouveau culte ébaubis

Se plaignent qu'on leur fait la nique

Et qu'ils n'auront plus de paralytique,

À ceux qu'un zèle peu discret

A fait jeûner une semaine

Et dont l'impuissante neuvaine

N'a pas produit le moindre effet,

Aux gens gagés comme au spectacle

Pour donner le ton par leurs cris,

Aux nouveaux et fameux miracles,

À tous mécréants convertis,

Aux témoins sûrs et véridiques

De la vertu de ces reliques,

À ceux qui sont les orateurs,

Voire même les promoteurs

De leurs effets béatifiques,

À ceux qui le croient sans voir,

À ceux qui les voient sans croire,

À ceux qui vont de leur manoir

À Saint-Médard comme à la foire,

À ceux même qui n'y vont pas,

Savoir faisons qu'on notre empire

Où règne un éternel délire,

Nous avons fait réflexion

Qu'il fallait choisir un patron,

Vu qu'il n'est ville ni royaume

Il n'est paroisse ni nation,

Il n'est métier ni profession

Qui n'ait saint Jacques ou saint Guillaume,

Ou quelque autre saint d'autre nom

Qu'il reconnaît pour son patron.

Déclarons donc par ces présentes

Que saint Pâris pareillement

Sera patron du Régiment,

Et n'est besoin d'autres patentes.

Le pape canonisera

Ce saint homme quand il voudra.

En attendant l'acte authentique

Qui doit rendre un saint juridique,

Nous croyons ses faits avérés

Par la requête des curés,

Par le suffrage oecuménique

Des badauds et de leurs docteurs,

Et de la troupe hiérarchique,

Dévots chapelains de la clique,

Gens éclairés, de bonnes moeurs,

Et surtout d'une foi très pure,

Amis du vrai jusqu'au parjure,

Aimant mieux faire un faux serment

Qu'une équivoque seulement.

Aussi les faits sont sans réplique

Par Vintimille et ses facteurs

Qui, craignant la mitre physique

De Pâris et ses sectateurs,

Usent du pouvoir mécanique

d'Hérault et ses inquisiteurs.

Non qu'après tout le galant homme

Soit coupable de tous les cris

Qu'on fait aujourd'hui dans Paris.

Si son âme s'est retirée

Dans l'enfer ou dans l'empyrée,

Hélas, qui pourrait le savoir ?

Personne n'y veut aller voir.

Vintimille, quoiqu'on en dise,

A déclaré que son appel

Lui fermait la porte du Ciel ;

Mais dans quelque lieu que l'Église

Veuille loger ce saint nouveau,

Il ne dit mot dans son cerveau,

Et l'on peut dire avec franchise

Qu'il est mort bien innocent

De ce fracas éblouissant.

Il a su la farce risible

Qu'un tonsuré de Montpellier

A fait sur sa cendre paisible.

Il en rit tout le premier.

La chose paraît fort plausible

Quand sur son tombeau ce mercier

Connu pour convulsionnaire,

Nommé Pierre Martin Gautier,

Le quatorzième janvier

Rétracta d'une âme sincère

Ce qu'Hérault d'un ton de corsaire

Avait extorqué par terreur

De ce trop infirme sauteur.

Bien mieux, il a pu s'égarer

Et déclare d'une voix claire

Qu'en l'hôtel de ce dur seigneur

Il n'avait commis cette offense

Que par la triste obéissance

Qu'arrachent ces lieux pleins d'horreur,

Où l'on fait gémir l'innocence

Dans la misère, la puanteur,

Et dont sa faible résistance

S'évanouit tant il eut peur.

Mais alors qu'en pleine assistance,

Jouissant de sa liberté,

Il rendait avec fermeté

Suivant le cri de sa conscience

Témoignage à la vérité,

Qu'il avait senti la puissance

D'une invisible déité

Qui se prête avec complaisance

Aux voeux du mort persécuté,

Que leur chétive créature

Presque oubliée par la nature

N'aurait point la facilité,

Quoiqu'en dise la procédure

Dont Hérault fait tant vanité,

De prendre toutes les postures,

Se donner toutes les tortures

Que provoquait la sainteté

Du diacre humblement visité.

Il dit, il part, et d'une allure

Fait encore ses contorsions.

Dans une retraite bien sûre

Bravant les persécutions

Va cacher ses convulsions.

Ce nonobstant, voulons qu'on chôme

La fête du bienheureux homme.

Que chaque fou du Régiment

Lui fasse voeu incessamment ;

Que dans la future chapelle

Il ait à porter sa chandelle,

Qu'à l'exemple de Becheran

En son honneur il caracole,

Que par mainte contestation,

Par maints sauts, mainte cabriole,

Il montre sa dévotion,

Qu'aux étendards soit son image

Où chacun rendra son hommage,

Qu'on ait grand soin de l'afficher,

Et qu'Hérault n'ose l'arracher

Sans avoir convulsive rage.

Fait l'an mil sept cent trente-deux

Par le dieu de la grand ratière,

Ce jour pour nos gens tant heureux

Que dans le manoir ténébreux

Dit Bastille, ou bien cimetière

De l'archi-constitutionnaire,

Aidé d'Harman, Chirac, Winstou

Et plusieurs autres loups-garous,

Race d'esculapes en colère,

Troupe vendue au ministère

L'on vit pour la seconde fois

Phoebus reculer en arrière,

Craignant de salir sa lumière

En la prêtant à des Français

Qui par un coupable mystère

Trahissant leur prince et les lois

Violent les droits du sanctuaire.

Numéro
$4525





Références

Lille BM, MS 64, p.316-28


Notes

Une autre version du même brevet en $4196