Brevet de création de deux offices de notaire, en faveur de deux jeunes gens qui avaient fabriqué un contrat calotin pour se moquer d'une demoiselle de la rue Saint-Séverin.
Brevet de création de deux offices de notaire,
en faveur de deux jeunes gens1
Le dieu Momus porte-marotte,
Auteur de la gent falote,
À nos sujets les plus chéris
Honneur, salut et plaisirs.
Ces derniers jours par la Folie,
En son rapport plein d’énergie,
Ayant été dit que Colin
Clerc tonsuré, vrai calotin,
Moins partisan de la sagesse
Que du bon temps, de l’allégresse,
Grand fainéant, mais beau parleur,
Peu véridique, maître hâbleur,
Mieux instruit de galanterie
Que de points de théologie,
Surtout préférant le bon vin
Aux livres de saint Augustin,
Et Louvic à la face étique,
Des beaux esprits fameux critique,
De savoir et de vertu
Se croyant amplement pourvu,
Dans la chicane fort habile ;
Au reste, inquiet, difficile,
Courrier en outre de Vénus,
Méconnaissant les revenus
Et même, l’on dit, à son âge
Conservant son cher pucelage.
Sachant que dans un écrit
Tous deux pour s’égayer l’esprit
Ils ont d’une manière outrée
Blessé l’honneur, la renommée
De deux amants, tendres, parfaits,
Qu’ils ont inventé mille faits
Dénués de toute apparence
Et dépourvus de vraisemblance ;
Qu’ils ont porté leur attentat
Dans ce petit apprentissage
Jusqu’à fagoter un contrat
Qu’on appelle de mariage,
Dont les clauses mises sans choix
Par ces têtes écervelées
Se trouvent de sens dépouillées
Et contraires à toutes les lois ;
Qu’ils mettent en communauté
Par esprit de bizarrerie
L’esprit, la blancheur, la beauté
De la fille la plus jolie ;
Que par un goût extraordinaire
Ces deux esprits, tout de travers,
Osent composer le douaire
D’une rente de quelques vers
Dont ils forgent un revenu
À tous calotins peu connus,
Et d’autres sottises pareilles
Que nous ne voulons répéter
De peur de nous trop arrêter
Et de fatiguer vos oreilles ;
Que leur fureur n’épargne pas
Une charmante demoiselle
Aimable, jeune, douce et belle,
Adorable par ses appas.
Enfin par cet écrit pervers
Donnant preuve suffisante
Que leur esprit est de travers
Et chez eux la raison mourante ;
Partant que ce sont deux sujets
Dignes de remplir nos projets
Étant de tout bien informés.
Notre Divinité zélée
À reconnaître les travaux
De nos plus fidèles suppôts
Par quelque honnête récompense
Qui, mettant en vogue leurs talents,
En divulgue la connaissance
À tous ceux de nos adhérents.
À quoi désirant satisfaire,
Par ces présentes nous créons
Un double office de notaire
Pour ces calotins, et voulons
Qu’ils portent toujours écritoire
Enrichie de plusieurs grelots
Et de sifflets, petits et gros,
Marques illustres de leur gloire.
Et pour informer tout venant
Du droit qu’ils ont de passer acte
Contrats, conventions et pactes
Comme officiers du Régiment,
Nous, dieu de toute gent falote,
Voulons qu’ils portent sur leur dos
Un placard avec ces mots
Je suis conseiller garde-note.
Plus, leur donnons privilège
De nous présenter les placets
Des solliciteurs de brevets.
Item, le folâtre cortège
De farfadets et de lutins.
Pour exhorter ces calotins,
Ordonnons qu’en leur compagnie
Cent papillons marchent toujours
Pour manifester à nos cours
La fermeté de leur génie.
Enfin, agréant leurs services,
Voulons qu’outre les revenus
Attribués à leurs offices,
Ils touchent par mois mille écus
Dont nous leur assignons la rente
Perpétuelle et permanente
Sur tous les brouillards de l’hiver
A cet effet tirés au clair.
Fait le jour même où le serment
Fait par calotins en furie
Fut prêté solennellement
Entre les mains de la Folie,
Où Louric est désespéré
De l’absence de sa maîtresse,
Et Colin malgré sa souplesse
Reste toujours sans prieuré.
Par le grand dieu porte-marotte,
Signé, paraphé Saint-Martin,
Le plus insigne calotin
Des calotins de la Calotte.
- 1Brevet de création de deux offices de notaire, en faveur de deux jeunes gens qui avaient fabriqué un contrat calotin pour se moquer d’une demoiselle de la rue Saint-Séverin.
Lille BM,MS 62, p. 413-20