Brevet de commissaire de guinguette du Régiment de la Calotte pour M. Marie, secrétaire de M. d’Angervilliers, secrétaire d’Etat de la guerre
Brevet de commissaire de guinguette du Régiment de la Calotte
pour M. Marie, secrétaire de M. d'Angervilliers, Secrétaire d'État
Nous, généraux de la Calotte,
À tous amoureux qui radotent,
Salut. Sur ce qu'avons appris
Qu'un sexagénaire aurait pris,
Sortant des bureaux de la guerre,
Chemin qui va droit à Cythère
Et qu'à la faveur de la nuit
Une catin l'aurait conduit
Au Parc aux Cerfs en domicile,
Où pour argent beauté facile
Ainsi qu'en mille autres endroits
Donne plus que les menus droits.
À part toute plaisanterie
Qu'entraîne la galanterie,
Prenant intérêt au méchef
Qu'a ce nouveau commis en chef,
Advint par gens qui sur la brune
Parmi paillards cherchent fortune,
Gens à qui pour sa liberté
Force doublons aurait comptés1
Et laissé dans cette équipée
Ses gants, sa canne et son épée.
Heureux en ce charivari
D'avoir soustrait au bistouri
Plus grosse bourse ou de nature
Reste en dépôt maintes aventures.
Nous pourrions plaindre le destin
De cet amoureux clandestin,
Mais comme il faisait clair de lune
Quand lui survint cette infortune,
Et que revenant à son but
Sans lanterne il reconnut
L'accoutrement de sa marotte
Qui du couvent tirant la porte
Sortait pour mettre en sûreté
Les dépouilles du maltraité ;
Qu'alors rentrant avec courage
Pour rattraper son équipage
Avec le mot De par le Roi,
Aurait tout mis en désarroi
Et forcé cette confrérie
À prendre ailleurs hôtellerie.
Sur quoi, le Conseil assemblé
Tout d'une voix aurait souhaité
Que pour signaler davantage
Les hauts faits d'un tel personnage,
Il fallait que son traitement
Fût réglé par le Régiment,
Toujours prêt à rendre justice
À tout barbon qui sans malice
Croit encore devoir soupirer.
À ces causes, sans différer,
Nous lui décernons la police
Sur tous ribauds entrant en lice
Qui courraient en chauves-souris
Tant à Versailles qu'à Paris,
Avec pouvoir dans nos guinguettes
De contrôler toutes grisettes
Qui n'auront pas prêté serment
Entre les mains du Régiment.
Voulons qu'à cet effet il porte
En main une vieille marotte
Qui rappelle à son souvenir
Qu'on peut aller et revenir
En certains lieux sans qu'il en coûte,
Quand par bonheur on trouve en route
Patron zélé, fidèle ami2 ,
Qui point n'est brave qu'à demi
Et que pour sa place il remplisse
Sans intérêt et sans épices.
Nous accordons audit galant,
À commencer dès à présent,
Un droit sur tous les vaudevilles
Qui se chanteront dans les villes
Faubourgs, marchés et coetera
Où cette histoire éclatera.
Prions pourtant, par bienséance,
Qu'on épargne à la connaissance
Du public toujours médisant
Un trait jadis assez plaisant,
Quand pour assurer sa tendresse
Contre un jaloux il eut l'adresse
D'envoyer lettre de cachet3
Qu'alors gratis il dépêchait,
Non par penchant, mais par vengeance,
Motif égal à la finance
À qui porte un cœur comme lui,
Toujours charmé du mal d'autrui,
Si que plus d'un extrait cynique
Fait l'ornement de sa boutique.
Enfin, pour qu'un jour sa maison
Consultée dans notre blason,
Fasse une souche respectable,
Accordons qu'il porte de sable
Au chef chargé d'un bouc passant
Qui sur sa tête ait un croissant ;
Qu'au cimier de cette armoirie
Il ait pour cri : Vive Marie
Et qu'il s'ébaudisse à loisir4 .
Car tel est notre bon désir.
- 1Des soldats aux Gardes qui, outre ses nippes, lui prirent 17 écus d'or (M.).
- 2Un major des Gardes-Françaises qui lui fit rendre son argent (M.)
- 3Pendant la Régence, il aimait la femme du nommé Quoniam, rôtisseur. Comme ce mari le gênait, il expédia une lettre de cachet, en vertu de laquelle ce rôtisseur fut conduit au Mississipi. Voyez les vaudevilles de ce temps (M.).
- 4A la fin une jolie vignette illustre ces armes burlesques, avec la note suivante: « La tinette qui couronne les armes est mise parce que la femme qui l'a raccroché est une cireuse de tinette. »
F.Fr.12654, p.265-69 - F.Fr.15016, f°261r-264v - F.Fr.25570, p.399-04 et p.533-36 - Lille BM, MS 64, p.122-28