Brevet d’aumônier et de bâtonnier accordé à Me Drevon
Brevet d'aumônier et de bâtonnier des avocats du Régiment de la Calotte,
accordé à Maître Drevon, prêtre et avocat, juge de Vaulsette et d'autres lieux en Dauphiné
Extrait des Registres de la Calotte
De par le souverain Momus,
Protecteur des esprits perclus,
Appui des plus folles chimères,
Grand empereur des Calotins,
À tous nos bons pensionnaires
Dont les cervelles sublunaires
Font l'ornement des calotins,
À tous nos zélés tributaires,
Avocats, greffiers, procureurs,
Huissiers, gardes-notes, plaideurs,
Qui sans cesse dans leur délire
Se distinguent dans notre empire,
Salut de tendre affection.
Voulant par notre attention
À récompenser le mérite,
Augmenter l'émulation
De nos concitoyens d'élite,
Informés que Maître Drevon,
Prêtre, avocat et petit juge
De divers lieux en Dauphiné,
Avait follement opiné
Qu'un de ses bons clients, qu'il gruge,
Pouvait bien, par maint subterfuge,
Se dispenser, non seulement
De payer dette légitime,
Mais que, de plus, impunément,
Lui, Drevon, par son art sublime,
Par son esprit fin, pénétrant,
Que la chicane seule anime,
Par un mémoire extravagant,
Plein de chimériques idées,
Aussi creuses que mal fondées,
Induirait si bien en erreur
Le juge le plus équitable,
Que du client, homme d'honneur,
À qui le sien est redevable,
Il en ferait son débiteur,
Malgré Thémis et ses ministres,
Dont les oracles trop certains
Pour tous les injustes humains
Sont aux escrocs toujours sinistres.
Ce plaideur peut-il trop payer
Cet incomparable mémoire,
La honte du Digeste entier ?
Cependant il est très notoire
Qu'il ne donna de ce trésor
Que vingt et quatre louis d'or.
Son avocat, on doit le croire,
Ne travaille que pour la gloire.
À ces causes, sans balancer,
Voulant toujours récompenser
Ces écrivains dont les ouvrages
Sont si dignes de nos suffrages,
Faisons Drevon grand bâtonnier,
Et, de plus, premier aumônier
Des avocats que la folie
À notre Régiment allie.
Lui donnons pour appointements,
Afin qu'il puisse plus au large
Soutenir l'éclat de sa charge
Et moins rançonner ses clients,
La somme de vingt-cinq mil francs
À prendre incessamment lui-même
Sur les débris du pont Saint-Jaime1
.
Enfin, pour prouver à Drevon
En tout point notre bienveillance
Et lui donner la récompense
Qu'il mérite par son facton,
Nous permettons, en conséquence,
À ce calotin avocat
De décorer seul son rabat
Des attributs de la marotte
Et de porter double calotte.
Enjoignons à tous nos sujets,
Toujours prêts, pour une vétille
Ou pour la moindre peccadille,
D'intenter aux gens des procès,
À l'exemple de ce poète
Qui dans Paris se fit berner
Et si longtemps turlupiner
Malgré sa prudente retraite2
.
En plaidant pour une chanson
Contre un joueur de violon,
Et qui par mainte autre prouesse
Mérita bien loyalement
D'entrer dans notre Régiment
Dès sa plus brillante jeunesse.
Enjoignons, dis-je, à ces plaideurs,
De la chicane sectateurs,
De prendre, ne pouvant mieux faire,
Pour leur avocat ordinaire
Cet Allobroge sans pareil,
Le premier de notre Conseil.
Entendons que de l'ellébore
Il fasse toujours peu de cas,
Que toute sa vie il ignore
Le Digeste et l'infortiat.
Fait dans la chambre lunatique
De notre Conseil chimérique,
Assistés de nos féaux rats
Et de ces fameux avocats
Qui signèrent tous avec joie,
Pour une pièce de monnoie,
La folle Consultation
Contre la Constitution.
L'an où pour conserver leurs plages,
Les Bataves, en hommes sages,
Vaincus par les braves Français,
Conclurent avec eux la paix.
Signé Momus, dieu tutélaire
Du vaste empire calotin.
Et plus bas par son secrétaire,
Monseigneur Maître Turlupin,
Garde des Sceaux de la Folie,
Gouverneur de la Raillerie
Et pour rendre l'acte plus fort,
Ont signé, d'un commun accord,
Sur le repli, Ronge-Serviette,
Grignote-Lard et Gruge-Miette.
- 1 Petite arche à moitié ruinée, bâtie sur un ruisseau qui traverse la ville de Grenoble et qui va tomber dans l'Isère. C'es sur cette arche, appelée Pont Saint-Jaime, que Maître Drevon a élu son domicile (M.).
- 2 Sur des idées aussi chimériques que celles de Maître Drevon, ce poète intenta un procès criminel à une violon de l'Opéra. Il l'accusait d'être l'auteur, ou au moins l'éditeur, d'une satire imprimée contre lui. En conséquence, il lui demandait 6.000 livres de dommages et intérêts, et une réparation d'honneur. Le premier juge condamna le musicien à 300 livres et aux dépens pour toutes réparations envers l'autre. Celui-ci en appela au Parlement. Le poète alors reconnut sa sottise, et pour se tirer honorablement du bourbier où sa folie et son orgueil l'avaient entraîné, il sollicita et surprit par son crédit un arrêt d'évocation au Conseil. Mais sur la requête du musicien, l'affaire fut renvoyée au Parlement qui, par arrêt du 9 août 1747, mit les parties hors de cour, dépens compensés, sans avoir égard au besoin que l'honneur du poète avait d'une bonne réparation (M.).
F.Fr.12785, f°208r-210v (imprimé)
Calotte grenobloise