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Brevet de Grand Econome du Régiment de la Calotte, du 16 février 1738, pour M. de Laubrière, évêque de Soissons

Brevet d’économe du Régiment de la Calotte

pour M. de Laubrière, évêque de Soissons

De par le dieu porte-marotte,

Nous, général et grands suppôts

Du Régiment de la Calotte,

Toujours gaillards, toujours dispos,

À toute la gent clémentine,

Aimant par trop bonne cuisine,

La joie et la dépense aussi,

Salut. Surtout point de souci

Au grand prélat d’humeur guerrière,

Notre féal et bon ami,

Auquel, bien à tort, Dieu merci,

L’on croyait l’âme dépensière,

Pourtant donneur, non de repas,

Mais d’eau bénite et de prières,

Drogues qui ne sont pas fort chères,

Et dont aussi chiche il n’est pas.

Sur tant de gens de conséquence

Qui demandent avec instance

D’entrer dans notre illustre corps,

Pour mériter la préférence

Depuis longtemps fait ses efforts

par cent rares traits politiques

Qui d’abord ont dupé les sots :

Du généreux, du véridique

Le rôle fait à tout propos.

Cette magnificence outrée

Dont il signala son entrée

Par un trait des plus fastueux

Et par maints festins somptueux,

Faisant leçon de bonne chère,

À plus d’un convive affamé,

De ce faux brillant très charmé,

Était sans doute ample matière

À nous donner dans la visière.

Et tant d’esprit et de bon sens

Sans honneur et sans récompense

Ne pouvaient rester plus longtemps.

Mais un nouveau trait de prudence,

Trait qui met bien en évidence

Et son génie et ses talents,

Avec nos applaudissements

Mérite un poste d’importance

Dans le Phénix des régiments.

Du fol amour de la dépense

Ce Père en Dieu bien revenu

Et peu jaloux de renommée,

Ayant, bien qu’un peu tard, connu

Que le faste n’est que fumée,

Après six ans d’épiscopat,

Aimant le bien en pur prélat,

Se réduit au pur nécessaire,

Et quoique de rente par an

Il ait vingt mille écus comptant,

Il se confine au séminaire

où tout prêtre doit tôt ou tard

Manger navets et pois au lard.

Là, travaillant à son bréviaire

Pendant un demi-siècle entier,

Il y vivra de l’ordinaire

Comme chétif pensionnaire,

Au hasard que quelque Ratier

Lui donne un brevet d’imbécile

Et chante à la Cour, à la Ville,

Qu’il devient d’évêque meunier.

Mais ce sacré séminariste,

Futur abbé, que désormais

Il faut bien que la Cour assiste

Afin qu’il puisse vivre en paix,

Absorbé dans l’économique,

Laisse parler la bourgeoisie,

Sûr que la Cour, ouvrant les yeux

Sur son projet religieux,

Va le payer d’une abbaye

Valant au moins dix mille écus.

Par ce projet, bien convaincus

Du savoir-faire du saint homme,

De notre joyeux Régiment

nous le nommons grand Économe.

Nul mortel de Paris à Rome,

Plus capable d’arrangement

Pour faire vivre sobrement

Tout buveur et tout parasite,

Pour remplir de vastes greniers,

Même aux dépens de la marmite

Des trop avides créanciers,

Plus propre à donner des déboires

De mille importuns ouvriers,

Plus fait à châtrer les mémoires,

À grossir d’amples revenus

En supprimant dans les ménages,

Avec les valets et les gages

Tous les pots-au-feu superflus

Qui sont une source d’abus.

Ces talents, cette expérience

Nous donnent donc pleine assurance

Que, tournant à notre profit

L’économique vigilance

Du Prélat jadis en crédit,

Notre Régiment dont on dit

Les affaires en décadence,

Refleurira sans contredit.

Un sujet de tant d’espérance

Méritant notre confiance,

Au Grand Économat susdit

nous joignons la surintendance

Des châteaux et lieux de plaisance

Par nous en Espagne bâtis

Et de nos rats de tout pays.

Quant à ceux de la dépendance

De ce Seigneur à révérence,

À nos frais ils seront nourris,

Tant en province qu’à Paris,

Rats d’Epée et Rats de finance ;

Car il en a de très jolis

Dont on ne connaît pas le prix.

Délibéré dans la séance

De notre ordre républicain ;

Signé sous le sceau d’abstinence,

Le général de Saint-Martin.

Plus, par Monseigneur Le Vilain,

Intendant de Son Excellence,

Voulons qu’en toute diligence

Le premier huissier calotin

Porte la présente ordonnance

Aux lieux de notre obéissance,

Même aux pays ultramontains.

Si mandons qu’on le signifie

Au Carnaval et la Folie

Le jour de Mardi-Gras prochain,

Et Momus y tiendra la main.

Numéro
$4375


Année
1738 février




Références

1754, VI,80-84 - Clairambault F.Fr.12708, p.13-18 - F.Fr.12655, p.262-72 - F.Fr.13662, f°127r-128r - F.Fr.15149, p.131-40 - F.Fr.15231, f°207r-208r - BHVP, MS 659, p.203-08