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Calotte pour le Sieur Bourgeois, musicien

Brevet au Sieur Bourgeois

de maître de la musique des États calotins

Nous, directeur de la Marotte,

De nos États de la Calotte

Voulant égayer les loisirs

Et joindre aux pompes les plaisirs,

Créons un maître de musique

Pour composer corps harmonique,

Rassembler maints musiciens,

Force chantres italiens,

Haute-contre qui s’égosillent

Chantant récits ab abrupto

Chorus et clameur de haro

Où les dessus toujours sautillent,

Concert non moins réjouissant

Pour nos divinités terrestres

Que celui de Saint-Innocent.

Auquel joindra petits orchestres

Où soient flageolets, violons

Unis aux grelots et sonnettes,

Guimbardes, fifres et clairons

Tympanons, trompes et musettes,

Vielles, serpentaux et bassons

Exprimant dans toutes nos fêtes

Bourdonnement de papillons.

Calotins aimant chants fantasques,

Sans méthode ni de sol et ut,

Mieux leur plaît un tambour de basque

Que clavecin, viole et luth.

Pour cette bizarre musique,

Parmi nos chantres plus exquis,

Au Sieur Bourgeois, cet homme unique,

Le Régiment donne le prix.

Sachant de plus qu’en sa caboche

La ronde avec la double croche

Le B mol et le diézis

Se débattant avec la quinte

Et voulant sauver les tritons

Font qu’oreille toujours lui tinte,

Et met sa raison hors des gonds

Vis-àvis Petites-Maisons,

Comme une pythonisse atteinte

D’énergumènes pâmoisons.

Mais ce qui l’univers étonne,

Tous les jours il se perfectionne,

Fait douze cantates par jour

Tant pour Bacchus que pour l’Amour,

Approchant toujours de génie

De la calotine harmonie,

Au lieu que chantres d’à présent

S’en vont toujours en déclinant.

Sachant qu’à destre et senestre

Volage, instable en tout pays,

Pour La Haye quittant Paris.

Orphée oisif d’un bourgmestre,

Languissait le triste Bourgeois

Qui charma ducs, princes et rois

Et gisait en triste équipage

Portant patins, mangeant fromage

Au lieu d’aloyaux succulents,

Au lieu de vins avalant bière.

Nos officiers compatissant

À sa musicale misère

Pour le tirer d’état si bas,

De la musique des États

Lui donnent maîtrise sublime,

Et pour couronner ses désirs

De la chambre et menus plaisirs

De notre généralissime,

Plus chantera le Sieur Bourgeois

Soupirs bêlants et bacchanales.

Quand perdront nos jeunes vestales

Ce que l’on ne perd qu’une fois,

Et que mainte fois nos pucelles

Donnent comme chose nouvelle.

Tels seront sujets importants

De ses airs, cantates et chants,

Airs joyeux, non de Jérémie,

Non sur les vers d’académie,

Ni sur odes de M. Houdard.

Plus fourniront à l’harmonie

Coq à l’âne de Grattelard.

Voulons que sur son front empreintes

L’on remarque croches et quintes,

Qu’il soit noté dans l’univers,

Qu’au Pont-neuf soient chantés ses vers,

Que la nuit partout le public

Celui qui crie « oublie, oublie »

Voulons qu’il se vante tout seul,

Qu’il saute comme un écureuil

Toutes les fois que par saillie

Inspiré de dive folie,

Il composera chants guinguets,

Traitant ses frères de baudets.

Fait dans notre conseil suprême,

De la lune le quatorzième.

Numéro
$4336





Références

F.Fr.9353, f°315v-317r - F.Fr.12655, p.5-8 - F.Fr.13660, f°136 - F.Fr.15016, f°223r-226v - F.Fr.25570, p.565-68 - Lille BM, MS 62, p.210-15