Guinguette des calotins
Guinguette des calotins
Hé quoi, disait un calotin,
Par reproche au grand Saint-Martin,
Pourquoi n'avoir pas fait emplette
De quelque utile guinguette
Où nous puissions nous régaler
Tous ensemble, nous rassembler,
Pour y chanter, rire, y boire.
Depuis que vous nous commandez,
Au grand diable si vous avez
Acquis le moindre territoire.
Vous avez tort et franchement
Il faudrait payer votre entrée
Ou ma foi de peu de durée
Sera votre commandement.
C'est de la part du Régiment,
Foi de ratier, non de la mienne,
Que je vous cite cette antienne.
Saint-Martin pendant ce discours,
Le sourcil froncé comme un ours,
Mordait ses doigts, grattant sa tête
Puis tout à coup grattant son front,
S'écria : Camarade, arrête !
Je vois que je suis une bête,
Je mérite bien cet affront.
Avec raison tu me relances,
Sachant que j'aime la dépense
Et que je suis un général
Tel que fut Aymon, libéral.
Pour te prouver ce que j'avance
Et que je goûte la raison,
Cherche bien vite une maison
Qui soit et champêtre et commode.
Dans l'instant, je m'en accommode
Si les sujets du dieu des rats
Y peuvent prendre les ébats.
Trè volontiers j'en connais une
D'une structure peu commune,
Répond le calotin joyeux.
Lisez cette ode irrégulière,
C'est le plan non d'une chimère,
Mais d'un château très curieux
Construit avec délicatesse
Peu loin de la grande Lutèce.
Une noble simplicité
Y fait briller la majesté
De l'italique architecture.
Il n'a rien d'un palais enchanté,
Rien de l'orgueilleuse structure.
C'est un château d'autre nature
Qu'une habile main de maçon
Sut plâtrer de telle façon
Qu'on la croit bien de taille
Encore que le plâtre s'en aille
Et découvre à nu le moellon
Dont est construit le pavillon.
Mais pour ne vous point mettre en peine,
L'on nomme ce lieu la Garenne.
De Villemonde c'est un fief
Qui donne au patron grand relief.
Ma foi, c'est un joli domaine.
Suffit en lisant ce qui suit.
Voyons comme tout est construit.
Voyons la jumelle montée
Qui doit être très fréquentée,
Car cet ouvrage singulier
Qu'on nomme un pompeux escalier
Est vraiment planté comme un suisse,
Non pour y garder l'édifice
Mais pour appeler les paysans.
Comme avec grâce il les invite,
Il les presse, il les sollicite
De monter aux appartements
Où l'on trouve une galerie
Qui fait qu'aussitôt on s'écrie :
Quel vaste et long colifichet,
Quelle fine et riche sculpture.
Ma foi, c'est un tableau parfait
Qui représente trait pour trait
Les merveilles de la nature.
L'on voit dans les extrémités
Deux appartements fort vantés
L'un pour les hôtes sert d'auberge,
Et l'autre ne sert qu'au patron
Lorsque un jeune leveron
avec sa femme il se gamberge,
L'on vous annonce que le bas
Fournit aux besoins du ménage.
C'est où se fait le tripotage,
Où se renferme le tracas
Des offices et des cuisines,
De la pinote et des latrines.
Le parterre est d'un genre nouveau,
D'un dessein parfaitement beau.
Il est égayé de verdure
Et d'une aimable bigarrure
De tulipes et d'autres fleurs
Dont je sens d'ici les odeurs.
La maîtresse est dame Javotte,
Ausi douce qu'une marmotte.
Pourvu qu'elle ait un gros bouquet
Qui bouffe devant son corset,
La pauvre femme est très contente.
Mais parcourons tous les bosquets,
ils vont surpasser votre attente
Car on y voit des cabinets
Qui forment un plaisant bocage
Ce sont autant de lieux secrets
Disposés pour le badinage.
C'est où Vénus aux amoureux
Procure des moments heureux.
Là, nous pourrons sous leur charmille
Pour y goûter à notre loisir
Certain indicible plaisir,
Y mener chacun notre fille.
C'est là juste ce qu'il nous faut.
Or maintenant grimpons plus haut.
Examinons certaine butte
Qui naguère était encore brute,
Un franc chaos plein de chardons
Dont on sut faire une place
Où Phébus donne ses leçons,
En un mot c'est un plat paronasse [?]
Car avec l'aide d'un rateau
De cette terre tant maudite
Le terrain fut mis au niveau
Par l'oeuvre d'une main bénite,
D'un prieur qui fait son mérite
D'être maçon et jardinier.
Ce qu'il sait moins c'est son métier.
C'est le curé de la paroisse,
Le plus adroit que je connaisse
Pour l'intrigue dans les maisons
De la plus haute bourgeoisie,
Avec un air de courtoisie
Et de si cagottes façons
Que sitôt qu'il s'impatronise,
Il gouverne tout le tripot.
Il ordonne, il retranche à sa guise ;
C'est maître Jacques en un mot.
Rafraîchissez votre mémoire.
Remettez-vous sur son histoire.
Quand on vous reçut général
Il était à Bacchaval,
À Livry la cérémonie
Se fit en bonne compagnie
En moine il soutint le festin.
Il but comme un calotin,
Mais il maudit le réfectoire
Quand on voulut lui faire croire
Qu'on allait le faire rabin,
Que vous le mîtes en posture
Et qu'il vit le préparatif
Pour faire sur lui la coupure
Qu'il faut souffrir pour être juif.
Il cria qu'il vous en souvienne
Qu'il avait l'âme trop chrétienne ;
Vous retîntes le coutelas,
Il échappa d'entre vos bras
Et courut comme un dromadaire
Pour regagner son presbytère
Se venger sur ses paroissiens
Qu'il traite comme galériens.
Venons à cette eau paresseuse
Qui coule avec tant de lenteur
Qu'elle en pourrait être bourbeuse,
Même en exhaler mauvaise odeur,
Mais la naïade officieuse
Est une très bonne écureuse.
Elle aura soin de nettoyer
Tous les bassins et le vivier.
Le vivier, c'est certain cloaque
Dans l'alignement du château,
Où réside plus d'un crapaud.
Nos rats dans une seule attaque
De ce peuple marécageux
Sauront faire un carnage affreux.
Cette naïade complaisante
Et déjà si compatissante
Pour remplir avec soin les voeux
D'un maître digne d'être heureux,
Ne voudrait pas pour une obole
Conduire en ce lieu fortuné,
Où Maître Robert se rigole
Et donne un délicat dîner,
Une eau qui ne soit purifiée
Et sur la glaise clarifiée.
Ah que cette glaise est charmante,
Elle en donne à l'ouvrier,
Elle est d'une humeur douce et liante
Plus qu'une chienne obéissante.
Le prieur qui sait son métier,
Habile dans son intendance,
En vendra sans doute au portier
Pour subvenir à la dépense
Que Robert fait pour mouler
Les terrines, sa bâffrerie,
Dont sa cuisine est bien fournie
Et qui doit beaucoup lui coûter.
Pomone veut entrer en lice
En tapissant de haute lice
Tous les murs où l'on voit des fruits
Qui doivent être exquis ;
Car le poète le certifie,
Qu'ils sont aussi délicieux
Que ceux de la table des dieux.
Je ne crois pas qu'il amplifie,
Encore qu'il ne spécifie
Ni leur qualité ni leur nom,
Comme aux fleurs il a bien su faire.
Si bien donc que nous ne savons
Si ce sont pêches ou brignons.
Ce détail était nécessaire
Mais ma verve était aux abois :
Tant d'épithètes entassées
Et ridiculement placées
Au hasard ,sans goût et sans choix
De l'auteur font voir l'ineptie.
C'est une pure rapsodie
Qui doit faire que d'une voix
L'on peut lui donner une place
Dans un coin de notre Parnasse.
Mais le distique qui finit
Comme un postscriptum son récit
Le tire d'une grande peine.
Admire le beau trait d'esprit,
Lecteur, son nom est La Garenne.
À cet éloge Saint-Martin
Trois fois baisa sa calotte.
Voilà lui dit-il notre affaire
Ton avis mérite salaire.
De par Momus j'en fais serment,
Robert aura notre pratique.
Certes notre gent lunatique
Chez lui prendra son logement,
Ou je quitte le Régiment.
Lors un calotin misérable
De la brigade des poltrons
S'écria d'un ton lamentable :
Dans ce jardin nous périrons !
Vous le croyez lieu de cocagne,
Point du tout, c'est une montagne
D'où l'on a tiré des moellons
Tant de plâtras et tant de pierres
Que l’on n'y voit que fondrières.
Puisses-tu t'y rompre le col
S'écria Saint-Martin comme un fol,
Prêt à lui donner la gourmade
En lui chantant un quos ego.
Mais il calma son vertigo.
Poltron, retourne à ta brigade,
Lui dit-il d'un ton radouci.
Mon cher, n'ai-je point de souci,
J'assigne pour la promenade
Tous les vergers et tous les bois
Plantés par les soin de Barême
Qui s'est rendu riche au Système.
Mais sa fortune est aux abois.
Tant pis pour lui sa décadence
Ne m'inquiète nullement.
Si Robert aima la dépense,
Il aura dans le régiment
De Barême la survivance.
Je conclus donc maintenant
Qu'à La Garenne il faut se rendre
Pour visiter jardins, château,
Voir si le tout est ausi beau
Que l'ode nous le fait entendre.
J'en ferai rapport à Momus,
Après quoi nous verrons où prendre
Des fonds solides et connus
pour payer grassement le maître.
Nous prétendons qu'il soit content.
Si le prieur fait l'important
Nous pourrions bien l'envoyer paître.
À Javotte nous donnerons
À pleines mains des macarons
Nous ferons part de nos espèces
Tant aux servantes qu'aux valets.
Enfin ils seront satisfaits,
Et nous ferons tant de largesses
Que chacun en profitera,
Lorsque vous verrez qu'on dira
Pour trouver une bonne aubaine
Il faut aller à La Garenne.
Lille BM, MS 65, p.401-19