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Edit de création d'un parlement de la Calotte pour Rouen

Édit de création d’un parlement de la Calotte

pour Rouen

À nos féaux porte-marotte,

Nous, Général de la Calotte,

Savoir faisons l’accroissement

De notre auguste Régiment.

Chaque jour, contre notre attente,

Le nombre des sujets s’augmente.

Voyons venir de toutes parts

Se ranger sous nos étendards

Gens de tous métiers, de tous âges.

Qui le croirait ? même des sages

Brûlent de s’y voir agréger.

De cette foule embarrassé,

Ne pouvant tous les satisfaire

Et ne devant nous en défaire

Qu’avec choix et discernement,

Voulant d’ailleurs au Régiment

Ne recevoir que gens d’élite,

Gens dont le zèle et le mérite

Soit avant d’y être pourvus

Examinés et reconnus.

Pour ne rien donner au hasard

Dans un choix de cette importance,

Pour pourvoir avec connaissance,

Sans déguisement et sans fard,

Décider de la suffisance,

Loyauté, prudence et science

De tous sujets vrais calotins,

Voulons qu’en un conseil suprême

Par le moyen des bulletins

Avec exactitude extrême,

Sans brigue, cet auguste choix

Se fasse à la pluralité des voix.

Voulons pour le maintien des lois,

Pour la tranquillité publique,

Du gouvernement politique

Qu’il partage avec nous les droits.

Pour cet éclatant ministère,

Il nous a paru nécessaire

De choisir pour nous soulager

Gens que l’on puisse consulter,

Gens de pure et saine doctrine,

Et pour l’exacte discipline

De la subordination

Amateurs et faisant leçon.

À ces causes très remarquables,

Ayant pris l’avis des notables

Du Régiment, nous exigeons

Par ces présentes, nous créons

Un conseil dont la vigilance

Supplée à notre insuffisance,

Qui puisse dans le maniement

Des affaires du Régiment

Nous aider d’avis salutaires,

Soulager notre ministère

Dans l’examen des candidats

Et suivant certaine rubrique,

D’autant que ce nombre est mystique,

Voulons que seize magistrats

Sans plus compose l’assemblée,

Et fassent pour y être admis

Preuve de tête un peu fêlée

Et de jugement peu rassis.

Mais pour que ce corps vénérable

Devienne encore plus formidable,

Choisissons pour y présider

Trois personnages peu affables,

Accoutumés à maîtriser

D’une manière pédantesque

Quiconque en docile écolier

Fait difficulté de porter

Le joug et le collier moresque.

Des trois pour président en chef,

Nous choisissons sur l’etiquet [sic]

Un personnage de relief,

Un bigot, vrai tâte-minette,

De sa nature un peu lambin,

Mais dont le discours patelin

Sait avec art, avec adresse,

Glisser suivant location [sic]

Tantôt le oui, tantôt le non,

Sur un fait de pareille espèce

Et profiter de la faiblesse

Des esprits sans réflexion.

Ouï tant d’heureuses qualités,

Une arrogance sans mesure

Saurait en imposer au fat,

Et soutenir avec éclat

Les apanages distingués

De la haute magistrature.

Lui donnons pour le seconder

Dans cet emploi des plus pénibles,

Deux sujets qu’il soit impossible

De fléchir ou de faire ployer :

L’un, monté sur un ton pédant,

Par raisonnement méthodique,

Saura prouver à tout venant

Qu’un gouvernement despotique

Ne doit jamais se relâcher,

Qu’en étant le dépositaire

Il trahirait son ministère

S’il souffrait qu’on pût l’entamer.

L’autre, d’humeur impétueuse,

Toujours avec vivacité,

Suivant de son cerveau brûlé

Et de sa passion fougueuse

Les écarts, les emportements,

Saura de toute indépendance

Saper jusques aux fondements.

Pour guérir les maux d’importance

Il faut des secours violents.

Sur des gens de ce caractère

Nous pourrions sans aucun danger

De tout le poids du ministère

Nous démettre et nous reposer.

Ils passeront nos espérances.

Malheur à qui voudra borner

L’étendue de notre puissance.

Près d’eux, pour nous la conserver,

Comme au temps du triumvirat,

Le soupçon seul d’indépendance

Deviendrait un crime d’État.

Tant de zèle et tant de vertus

Mérite notre confiance ;

Qu’ils soient les maîtres absolus,

Mais il est de notre prudence,

Connaissant leur tempérament,

D’associer à leurs fatigues

Des gens qui puissent sans intrigues

Veillant à leur soulagement,

Partager le gouvernement.

Et pour qu’aucunes tentatives

Ne causent aucun changement,

À leurs droits, leurs prérogatives,

Voulons en guise d’estafiers

Que sous eux treize conseillers

D’humeur bénigne et complaisante

Se laissent mener par le nez ;

Que toutes affaires cessantes

Ils soient en tout subordonnés,

Et qu’une aveugle obéissance

Sous peine de rébellion

Même contre nos ordonnances

Leur serve de décision.

Que si, nonobstant ces patentes,

Et contre le vrai droit des gens,

Quelqu’un, d’une humeur peu souffrante,

S’avisait de montrer les dents,

Permettons à tous présidents

Contre cet attentat énorme

Sans observer aucune forme

De procéder incessamment

Contre ce sujet rebelle,

Vengeur de sa propre querelle

Il puisse la baguette en main

Sans user d’aucune indulgence,

Pour marquer sa toute-puissance,

L’excommunier du Sanhédrin.

Qu’à cet effet un grand registre

Au col de chaque président

Ou pour lui servir d’ornement

Se trouve ainsi qu’en un pupitre ;

Que ce soit le livre de vie

De tout calotin enrôlé ;

Que tout profane en soit rayé,

Selon la pure fantaisie

Ou le caprice et cetera

De quiconque présidera.

Que, pour comble d’ignominie,

Du sujet qui s’est vu biffer

La place aussitôt soit remplie

Par qui saura le mieux ramper.

C’est la route que l’Évangile

Nous trace pour nous élever.

Sans ce moyen, un imbécile

Pourrait-il jamais déplacer

Des sujets d’un certain calibre.

Qu’en distribuant leurs faveurs

D’un air dégagé, d’un air libre

D’un nombre de vils délateurs

Ils se fassent des créatures.

Que la bassesse toute pure

Soit un titre pour mériter

Leur amitié, leur bienveillance ;

Qu’ils puissent sans se déplacer

Trouver même dans leur séance

À plein de quoi se contenter.

Car ne croyez pas que sans arts,

Cette troupe ainsi rassemblée,

De treize juges composée,

Ne soit qu’un effet du hasard,

Tout mûrement considéré

On en découvre le mystère,

Toujours tel nombre à bon marché,

Fournit au moins pour l’ordinaire

Un judas ou bien un faux-frère.

Créons procureur général

Un jeune homme de bonne mine,

D’humeur tant soit peu calotine,

Et presque issu de sang royal.

Les qualités de sa personne

Ont déterminé notre choix.

Pour soutenir une couronne

Il faut en connaître les droits.

Nous attendons tout de son zèle ;

Souvent il va jusqu’à l’excès.

Sur un sujet aussi fidèle

Sont fondés nos heureux succès.

Vous, protecteurs de la Marotte

Et ses plus zélés partisans,

Consacrez les premiers instants

De ce séant de la Calotte,

Farfadets, gnomes et lutins,

Sur cette auguste compagnie

Venez avec cérémonie

Verser vos attributs divins ;

Mais laissez à notre prudence

À faire avec proportion

Du mérite la récompense ;

Dans cette répartition

Nous devons faire différence.

Pour qu’aucun ne soit mécontent,

Voulons que chaque président,

Afin que chacun le révère,

Pour marque de distinction

Porte dans ses mains le momon,

La balance et le cimeterre ;

Que sur sa tête un chaperon

Et triple calotte de plomb

Serve de coiffure ordinaire.

Ordonnons à nos conseillers

Que chacun ait, suivant l’usage,

Pour marque de son esclavage

Pendants d’oreille et colliers.

Y ajoutons la platte longue

Pour les mettre à commandement

En faveur de tout président

Que l’envie de dominer ronge.

Expressément leur défendons

Contre eux d’oser lever la crête

Ni d’entrer en comparaison.

Et pour cette seule raison

Ne porteront dessus leur tête

Que simple calotte de plomb.

Pour honorer notre parquet,

Représentant notre personne,

Voulons, entendons et nous plaît

Par cet édit d’érection

Qu’il puisse porter la couronne

De crainte de prescription ;

Y mandons audit parlement

Avant tout acte de justice

En vérifiant le présent

Par un prompt enregistrement

De commencer son exercice.

Donné de l’avis du fiscal

Pour être observé bien ou mal

L’an mil sept cent trente sixième

De notre règne le… ème

Et scellé de l’anneau royal.

 

Réponse

Il est au Pinde un trépied vaditique [sic]

Où vont s’asseoir gentils faiseurs de vers,

Et sont par ceux de ce lieu véridique

Les bons loués et honnis les pervers.

Le plat auteur de pièce calotine

Que par la ville on lit avec mépris

Eut pour trépied le trou d’une latrine,

Si qu’il s’attache à nos meilleurs esprits,

Mais par un trait de justice divine,

On rend ces vers où le sot les a pris.

Numéro
$4488


Année
1736




Références

BHVP, MS 665, f°8v-10r


Notes

Satire d'une institution rouennaise (parlement ou académie) avec brève riposte