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Brevet du Régiment de la Calotte pour M. C. P. [Camille Perrichon] prévôt des marchands de Lyon

Brevet du Régiment de la Calotte
pour M. Camille Perrichon, prévôt des marchands à Lyon
De par Momus de qui l’empire
Nous excite sans cesse à rire
Des sottises de ces mortels
Auxquels on dresse des autels,
Nous, Général de la Calotte,
À nos sujets porte-marotte,
Salut ! Le nommé Perrichon,
Petit d’origine et de nom,
Jadis tiré de la poussière1
Pour cheminer dans la carrière
Des biens, des honneurs et des rangs,
Aujourd’hui prévôt des marchands
De Lyon, cette grande ville,
Y commandant en homme habile,
Reconnu chef des maltôtiers,
Le suppôt des commis fermiers
Retirant un très gros salaire2
De cette race mercenaire,
Ainsi que nous l'avaient appris
Divers factums et maints écrits3 .
Nous, susdit Généralissime,
À qui Momus sans cesse imprime
Que gens de raison ennemis
Soient promptement chez nous admis,
Suivant la divine maxime
Du dieu bouffon, avons dit
Que pour consacrer la mémoire
Des actions pleines de gloire
Dudit Perrichon, demi-dieu,
Nous approuvons qu’en tout lieu
Devant lui tout fléchisse et rampe,
Et qu’il place sa divine estampe
Après de Camille, Romain,
Qu’en prose ou vers, d’un bas latin
Un pied-plat4 , vrai calotin
Enthousiasmé de la marotte
Lui donne dudit Camillus
Les qualités et les vertus,
Le tout coté et mis en note
Aux registres de la Calotte
Suivant nos coutumes et us.
Or, comme ledit personnage
A dû mériter cette image,
Mandons à tous nos calotins,
Maires, consuls et échevins
D’aller lui rendre hommage
Et admirer ses grands talents
que n'eut onc prévôt des marchands5 .
Savoir : adresse en pillerie,
Subtilité en fourberie,
Cervelle avec rats les plus gros
Orgueil, fierté et sots propos.
Sus donc, information faite
De sa légèreté de tête
Et débilité de cerveau
Où gît toujours transport nouveau,
Nous le déclarons lunatique
Et très digne de notre clique,
L’installons dans le premier rang
Des calotins du Régiment.
À ces fins, de notre science
Pleine autorité et puissance
Accordons au Sieur Perrichon
Notre illustre et large cordon,
Et privilège qu’en son nom
Il peut exercer la maltôte
Dans nos États de la Calotte,
Lui adjugeant dès à présent
Les sous-fermes du Régiment.
Lui décernons pour récompense
Parfaite et pleine indulgence
De ses tours de Maître Gonin.
Changeons son illicite gain
En acquisition légitime
Et nous le lavons de tout crime.
Au surplus nous lui faisons don
De triple calotte de plomb
Ornées de grandes oreilles
Qui ne trouvent pas leurs pareilles,
Où se verra pendu plus bas
Des sonnettes, grelots et rats ;
L’honorons de notre médaille
De la plus belle et grande taille
Pour s’attirer vénération
De nos calotins de Lyon.
Plus, pour soutenir avec grâce
L’éclat de sa nouvelle place
Et faire nargue à tous les grands,
Lui concédons deux mille francs
Assignés par chaque semaine
À prendre au brouillard des eaux
S’exhalant des belles fontaines
Du réservoir et longs canaux,
Monuments glorieux des peines
De Petitot le calotin,
Ce beau génie d’Avertin,
À qui par faveur singulière
Avant d’apposer le cachet
Au bas du présent brevet
Concédons la bandouillère
Semé de rats, papillons,
Item, grelots et médaillons
Cliquetant devant le derrière
Pendus à chaque boutonnière.
Cette noble distinction
Lui prouve en toute manière
Notre sincère affection.
plus soit fait inhibition
Aux railleurs de faire la nique
À telle machine hydraulique6
Que sa cervelle enfantera
Encore qu'il y échouera.
Le créons par lesdites lettres
Le premier de nos géomètres,
Avec deux cent milliers de plombs
Pour ses gages, droits et salaires,
Lesquels gages nous assignons
Sur la solidité des terres
De son réservoir et voulons
Comme chose fort nécessaire
Qu'il porte calotte de plomb,
Mettant à l'abri sa cervelle
D'aucune atteinte mortelle,
Et la doublons de molleton
Pour que rien ne s'en évente
Et qu'elle conserve son sel.
En foi de quoi, sur la présente
Avons fait apposer le scel.
Fait l'an de l'ère calotine
Que Petitot d'humeur altière
D'orgueil eût crevé sans espoir
Si providence singulière
N'eût fait crever son réservoir7 .

 

  • 1 Il est le fils d'un notaire de Lyon qui fut fait échevin et petit-fils d'un corroyeur de ladite ville (M.)
  • 2 L'on sait, à n'en pouvoir douter, qu'il a une grosse part dans les fermes des octrois de la ville, sous le nom de M. Dervieu qui y est aussi fort intéressé et a de plus le contrôle de cette ferme ; ils ont gagné tous les deux des sommes immenses. C[amille] [Perrichon] en dissipateur a tout mangé et a laissé des grosses dettes, mais M. Dervieu en économe a laissé à sa mort quinze cent mille livres. Plus les Sieurs Panissot et Douai, Quatrefage de la Roquette et Marmier, tous gens de bas étage, jadis petits commis, rats de cave, nés sans biens et ayant une portion dans lesdites fermes, ont laissé à leur mort chacun un million et plus (M.)
  • 3 Mémoires et factums de MM. les secrétaires du Roi près la Cour des Monnaies de Lyon qui eurent un très grand procès avec les fermiers pour leurs entrées de vin, que lesdits secrétaires perdirent (M.)
  • 4 Cl. Bolley, maître d'école, plat adulateur, fit graver le portrait de M. Camille Perrichon en médaillon avec celui de Camille le Romain qui fut cinq fois proclamé dictateur à Rome et le mit en parallèle avec ledit P[errichon], Lyonnais, qui a été continué par brevet du Roi cinq fois commandant et prévôt des marchands. Cette estampe faite de deux médaillons accolés fut distribuée dans toute la ville. La plupart des citoyens s'en moquèrent ; elle est cependant curieuse et recherchée aujourd'hui à cause du ridicule de la comparaison (M.).
  • 5 Il fit changer les règlements anciens pour la fabrique d'étoffes de soie à Lyon. Il en établit de nouveaux qui occasionnèrent ce grand débat entre la grande et la petite fabrique et qui eut de si fâcheuses suites en 1744, dont le résultat fut une furieuse émeute populaire, la révolte de plus de quinze mille ouvriers en soie ; les compagnons teinturiers en soie se mutinèrent aussi contre leurs maîtres gardes et firent changer leurs règlements (M.)
  • 6 Il fit construire une machine hydraulique qui montait l'eau du Rhône sur le pont, mais qui échoua peu de temps après, ainsi que le réservoir d'eau d'une construction nouvelle qu'il fit placer sur le rampart vis-à-vis le quartier appelé Basse-Broye qui creva de toute part sitôt qu'il fut plein et faillit à inonder tout le quartier (M.).
  • 7 C'est un homme extrêmement vain et entêté de ses faux projets. Tout le public lui assurait que le réservoir qu'il avait construit, n'étant pas sur voûte, ne serait jamais assez solide pour soutenir le poids énorme de l'eau ; mais persistant avec opiniâtreté dans ses idées, après bien de la dépense qu'il fit faire à la ville, lorsqu'il voulut remplir son réservoir, il creva de toutes parts dans une nuit avec une si grande impétuosité qu'il faillit à submerger tout le quartier de Basse-Broye. Ce qui fut très mortifiant pour le pauvre petit géomètre qui s'exposa à la risée de tout le public qui ne l'aimait pas et rabattit fortement son orgueil insupportable. MM. Deville firent ensuite un petit réservoir en plomb, placé au milieu du grand, fait de terre battue, qui donne encore aujourd'hui (1765) les eaux jaillissantes pour les deux bassins de la place de Louis le Grand, pendant deux ou trois heures du jour (M.).

Numéro
$4206


Année
1738




Références

Lyon, BM, 53, f° 2-6


Notes

Début (quatre premiers vers) identique en $4069