Brevet de grand bâtonnier du Régiment de la Calotte pour le Sr Arouet de Voltaire
Brevet de grand bâtonnier
Momus, par arrêt des destins
Grand monarque des calotins,
Et des rimeurs dieu tutélaire,
À notre bien amé Voltaire,
Salut, joie et peu de raison.
Ouï le rapport du Sieur Aymon
Sur la calotine influence
De l’astre qui dès votre enfance
Présidait à votre berceau
Et dérangea votre cerveau,
Et sur les faits qu’en conséquence
En ces bas lieux avez produits,
Étant suffisamment instruit
De la singulière prudence
Qui dirige vos actions
Et règle vos productions.
Item de l’humble défiance
Que vous avez de vos talents
Et des bontés que pour les grands
Vous marquez en toute occurrence,
Voulant réprimer l’insolence
De nos seigneurs impertinents
En bravant même leur vengeance,
Tout sainement considéré,
Pour marque de la bienveillance
Dont nous vous avons honoré,
De notre certaine science
Et notre suprême puissance
Nous vous avons constitué
Et commettons par ces présentes
En forme de lettres patentes,
Grand bâtonnier du Régiment,
Inspecteur et surintendant
Des coups de bâton ou de gaule
Dont on chargera les épaules
Des satiriques et faquins.
Défendons à nos calotins,
Sous peine de grosse amende,
De faire cette réprimande
Sans en avoir auparavant
Eu de nous le consentement.
Entendons qu’en telle aventure
Le nombre des coups, leur mesure,
Par vos ordres seuls soit réglé,
Que le bâton soit modelé
Sur ceux qui, dans ce poste illustre,
Vous auront bientôt installé
Pour l'ornement et pour le lustre
De cette grande dignité.
Voulons que par vous soit porté,
Comme nous portons la marotte,
Outre la divine calotte
Un bâton bien fort et bien gros
Duquel la forme en tout égale
Ceux qui vers la place royale
Ont épousseté votre dos.
Voulant aussi suivre l’usage
De notre auguste Régiment,
Et pour transmettre d’âge en âge
Un authentique témoignage
Et des grands honneurs et du rang
Dont nous payons votre courage,
Ordonnons qu’en vos écussons
Portiez en sautoir deux bâtons
Posés sur un champ de gueule
Et surmonté d’une bégueule ;
Qu’en outre preniez pour supports
Deux bras puissants et forts
Pour soutenir votre fortune
Avec plus de pompe et d’éclat.
Enjoignons aux caissiers d’État
Gardant notre caisse commune,
De vous délivrer tous les ans
Dix mille écus d’appointements
Qu’ils payeront à l’ordinaire
Et dont les fonds sont assignés
Sur les tourbillons de poussière
Qui s’élèveront par derrière
De ceux qui seront bâtonnés.
Fait dans le temple redouté
Du puissant dieu de la Calotte,
Scellé du sceau de la Marotte
Et signé par Sa Majesté.
F.Fr.12654, p.165-168 - F.Fr.12785, f°55r-58r - F.Fr.15016, f°169r-171v - F.Fr.20036, p.295-99 - F.Fr.25570, p.361-64 - Nouv.Acq.Fr. 2485, f°68r-69r - Nouv.Acq.Fr. 4773, f°150r - Arsenal, 3128, f°300r-301r - Arsenal, 3359, p.220-23 - BHVP, MS 663, f° 251r-254v - BHVP, MS 703, f°284r - Mazarine, MS 4035, Pièce 27 - Bordeaux BM, MS 700, f°359r-366r - Grenoble BM, MD 587, f°101r-102r -Lille BM, MS 65, p.278-81