Lettre de M. Bonnier à Mgr l'évêque de Montpellier, du 6 février 1736
Lettre de Monsieur Bonnier à Monseigneur l’évêque de Montpellier, du 6 février 1736
Monseigneur,
Je pars enfin avec la peine de voir votre animosité marquée contre moi, mais en même temps avec la satisfaction de ne l’avoir méritée en rien, d’avoir fait au contraire toutes les avances pour tâcher de me concilier votre amitié, et avec la confiance de me croire en droit de vous reprocher votre injustice à mon égard. J’ai gardé le silence jusqu’à présent, persuadé que j’étais que vous ouvririez les yeux sur les pièges que vous tendaient ceux qui vous ont excité contre moi, et ont conduit toutes vos actions et pour avoir le temps de mettre à l’abri de vos persécutions quelqu’un que vous destiniez à être la victime innocente de vos projets. Mais quant à présent que je suis exposé à votre aversion, je ne crains point et je me crois permis de parler.
Ce sont les seules armes que je puisse employer contre quelqu’un de votre caractère et de votre état. Je vais donc me plaindre, et à qui ? À vous-même. Je crois que les meilleurs vengeurs que je puisse avoir sont les remords que votre charité et votre religion ne peuvent manquer d’exciter en vous, de vous être laissé surprendre aussi légèrement sur des soupçons de scandale qui n’étaient que dans l’esprit de vos conseils, et d’avoir été sur le point d’en causer un, public et réel.
Pourquoi, Monseigneur, depuis tant d’années que vous êtes le pasteur de ce diocèse, me choisir, moi, passant et étranger, pour ainsi dire, dans ce pays pour me blâmer, m’accuser sans fondement et sans preuves, tandis que vous avez laissé et laissez encore publiquement des scandales réels parmi vos brebis ? Direz-vous que vous les ignorez ? Il sera permis au public d’en penser ce qu’il voudra ; mais en tout cas je vais vous en instruire, sans pourtant nommer ni désigner personne, ayant toujours en vue, moi laïque, d’éviter des éclats que la vraie charité défend.
Sachez donc, Monseigneur, que ce diocèse que vous croyez si exempt de mauvaises mœurs, en fourmille ; sachez qu’à commencer par les prêtres, il y en a grand nombre qui commettent ouvertement le crime, qu’ils y font servir le temple du Seigneur, et même le tribunal de Pénitence ; sachez que la chaire même, destinée à prêcher la parole de Dieu, a servi quelquefois d’école où l’on faisait des leçons publiques d’impureté, et où, par excès de zèle, on enseignait les vanités et les détails de la luxure la plus raffinée. Sachez que votre propre ville a servi d’asile pendant un long temps, si elle n’en sert encore, à un nommé Causse, connu dans le parti des Convulsionnaires sous le nom de Frère Augustin et cherché sous ce nom par les ordres de la Cour les plus sévères, scélérat qui a employé la Religion à commettre toutes les impuretés et les sacrilèges connus et non connus avant lui.
Voilà l’état de ce diocèse où vous avez cru, ou voulu faire croire, que j’avais porté le premier germe du vice, tandis que je suis en état de prouver plusieurs actions dignes d’être suivies. Qui s’est plaint jusqu’ici de médisances ou de calomnies de ma part ? Qui a secouru plus assidûment les pauvres ? Qui a aidé plus puissamment les églises et les hôpitaux ? Qui a été plus modeste dans ses paroles et dans ses actions extérieures ? Allez aux enquêtes et j’y gagnerai. Voilà en quoi je fais consister la vraie religion de l’honnête homme, ayant toujours pour principe devant les yeux ce commandement, de ne faire à autrui que ce que je voudrais qu’on me fît. Le temps et les événements justifieront, si je pense bien, et si les aspics qui, de votre propre aveu, vous ont aiguillonné contre moi, pensent mal. Le soin que vos conseils ont pris de vous envoyer la conduite que vous deviez tenir à mon égard, toute tracée par écrit, est premièrement insultant pour vous, et en même temps une preuve bien évidente du motif intéressé qui les conduisait. Vous reconnaissez que j’ai des ennemis, vous les avez, et vous vous prêtez à leur inique projet. Jugez-vous vous-même, Monseigneur, et je n’en réclamerai pas.
Je pars, encore un coup, pour aller habiter des climats plus doux et plus paisibles ; l’amour de la paix et la tranquillité publique sont les seuls motifs qui m’y déterminent, et non la crainte. Quand l’intérieur ne s’élève point contre nous, on ne doit pas craindre les foudres lancées injustement. Cette façon de penser ne vous est pas inconnue. Je finis donc, en partant avec beaucoup de haine pour ce séjour, et des sentiments cependant pleins de respect que je dois à votre caractère et avec lequel j'ai l’honneur d’être, etc.
1754, VI,36-39 - Clairambault, F.Fr.12706, p.27-30 - F.Fr.13661, p.505-08 - Bouhier-Marais, VII,135-36
Prolongement de l'affaire évoquée en $0831, $0832