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Le Bateau volant

Le bateau volant1
De voler publiquement
Dans une gondole,
Sais-tu, Pierre, qu’un savant2
A donné parole ? —
Va t’en voir s’il vole,
Jean,
Va t’en voir s’il vole.

De prononcer hardiment
Que l’idée est folle,
Tu te fais trop promptement
Une gloriole.

Il se peut qu’un pareil plan
Tourne en faribole,
Mais, jusqu’à l’événement,
Je suis bénévole.

Je sais qu’Icare en faisant
Mainte caracole,
Des airs, dans l’eau, brusquement
Tomba de bricole.

Je conviens qu’en le prenant
Depuis, par symbole,
Un marquis, plus récemment,
Fit la cabriole.

Mais je ne crains nullement,
Vu son protocole,
Que leur émule prudent
Jamais dégringole.

Tandis qu’un sien confident
Tiendra la boussole,
Il doit du grand mouvement
Presser la virole.

Et si, de quelque ouragan
La peur le désole,
En jetant l’ancre en plein vent,
Il rira d’Éole.

Puisse-t-il incessamment,
Sur la métropole,
S’élever tranquillement
Ceint d’une auréole.

Enfin, si son secret prend,
Et qu’il tienne école,
Voilà d’un autre élément
L’homme régnicole !

A parler sincèrement
Et sans hyperbole,
C’est un nouveau logement
Qu’aux oiseaux l’on vole.

Mais nous ne saurions pourtant
(Ce point les console)
De la terre au firmament
Remplir l’entresol.

L’astrologue en parcourant
L’un et l’autre pôle,
Va des cieux commodément
Mirer la coupole ;

Au fond du sable mouvant
Du riche Pactole,
Comme Harpagon va souvent
Puiser l’or en fiole.

Au moindre chapeau vacant,
Maint abbé frivole
S’en ira tout en planant,
Droit au Capitole.

J’en connais qui, sur-le-champ,
Iront en carriole
Aux femmes du grand sultan
Parler gaudriole.

Pour moi, qui du sentiment
Fais ma seule idole,
Je rabattrais constamment,
Aux pieds de Nicole. —
Va-t’en voir s’il vole,
Jean,
Va-t’en voir s’il vole.

  • 1Autre titre : Dialogue entre Pierre et Jean sur un événement prochain, par M. de Piis. — Il n’est pas inutile d’observer que Jean, derrière l’opinion de qui l’auteur cache la sienne, chante toujours les quatre premiers vers de chaque couplet, et que Pierre, à la place de qui beaucoup de personnes se mettront sans doute, ne croit devoir se justifier de son incrédulité que par le retour monotone des deux vers qui forment le refrain. (M.)(R)
  • 2François Blanchard, qui devait s’illustrer comme aéronaute, avait d’abord attiré sur lui l’attention publique par son projet de voler dans l’air à l’aide d’une machine. On lit dans la Correspondance de Métra, le 8 mai : « M. Blanchard a fait, dimanche dernier, la démonstration publique de son vaisseau volant. On en a admiré le mécanisme mais on n’en raille pas moins. Nos Parisiens, meilleurs cochers que pilotes, trouvent étrange que le mécanicien n’ait pas préféré la forme d’un fringant cabriolet. Pourquoi pas celle d’un vaisseau ? répond M. Blanchard. L’air n’est-il pas un fluide, ainsi que l’eau ?… Sa première expérience est irrévocablement fixée pour les premiers jours de juin ; lui troisième, il doit lever l’ancre de Pantin et cingler en un clin d’œil vers les jardins du Raincy, chez M. le duc de Chartres. Ce seigneur a promis mille louis à l’inventeur s’il parvenait sain et sauf dans son navire aérien. »

Numéro
$1518


Année
1782

Auteur
Piis



Références

Raunié, X,58-63