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Épître à Beaumarchais sur la perte de son procès

Épître à Beaumarchais sur la perte de son procès
Des juges le public est le juge suprême ;
Tu l’as dit, Beaumarchais, tout Paris révolté
Désavoue hautement l’arrêt qu’ils ont porté.
Chacun en t’honorant croit s’honorer soimême.
On te loue, on t’admire, on t’applaudit, on t’aime ;
On bénit avec joie, on cite avec ardeur
Ces princes généreux, ces juges de l’honneur,
Aux cris d’un vil Sénat opposant leur estime,
Attestant ta vertu calomniée en vain,
Ton courage étonnant qui croît quand on l’opprime,
Et ces talents si grands dont on te fait un crime.
C’est Conti1 , nous dit-on, c’est lui de qui la main
A sauvé du bûcher qu’allumait la sottise
Le précepteur d’Émile et l’amant d’Héloïse.
Contre nos oppresseurs, son neveu, comme lui,
Au mortel innocent présente un sûr appui.
Dignes du sang des rois, exemple de la France,
Conservez notre honneur dans ces jours de démence.
Quand le Russe ou l’Anglais, insultant à nos mœurs,
Nous dira : Peuple lâche, en butte à mille erreurs,
Toujours vos tribunaux ont donc proscrit vos sages ?
Je répondrai pour lors : Si des hommes menteurs,
Si des pédants contre eux ont formé des orages,
Par nos princes du moins ils furent défendus.
Nos princes ont instruit les peuples éperdus
A réparer leurs maux, à laver leurs outrages,
A priser leurs talents et leurs nobles vertus,
Que ne dégradent point des arrêts mal rendus.
Voilà les vrais Français, l’honneur seul les anime ;
La persécution accroît encor l’estime ;
Pour être aimé de nous c’est un titre de plus.
De tes vils ennemis la rage est trop notoire ;
En voulant te flétrir ils te comblent de gloire.
Ton cœur n’a point perdu sa noble fermeté ;
Tu nous souris encore avec sérénité ;
De tes amis enfin tu calmes les alarmes ;
De tes mourantes sœurs ta main sèche les larmes ;
De ton père, à son Dieu demandant le trépas,
Tu ranimes la force expirante en tes bras.
Ainsi, quand par les fruits d’une intrigue cruelle
On t’ose condamner avec sévérité,
Vainqueur des passions et de l’adversité,
Aux vertus, à l’honneur, à tes devoirs fidèle,
De force, de noblesse et de simplicité
Tu nous offres encor le plus parfait modèle.

  • 1« Mgr le prince de Conti et Mgr le duc de Chartres, sensibles au malheur de M. de Beaumarchais, l’ont reçu plusieurs fois chez eux avec beaucoup de bonté et, depuis l’arrêt prononcé, il a même eu l’honneur de leur faire la lecture du Barbier de Séville en présence de toute la cour. » (CLG)

Numéro
$1355


Année
1774




Références

Raunié, VIII,305-07