Le Renard et le bouc
Le renard et le bouc1
Capitaine Bergas2 volait de compagnie
Avec son ami Guil3 des plus haut encornés.
Celui-ci ne voyait pas plus loin que son nez.
L’autre était passé maître en fait de calomnie,
Escroquant au baquet l’argent de tout Paris.
Là, chacun d’eux se désaltère.
Après qu’abondamment tous deux en eurent pris,
Le Bergas dit au Guill : « que ferons-nous, compère ?
Ce n’est pas tout de prendre, il faut sortir d’ici :
Lève ta banqueroute et tes cornes aussi,
Mets-les sur le papier, le long de ton mémoire.
Je mentirai premièrement,
Puis, sur tes cornes m’enlevant,
À l’aide d’une fausse histoire
Le Bicêtre s’esquiverait,
Après qui je t’en tirera. »
« Par mes cornes dit l’autre, il est bon et je loue
les gens bien sensés comme toi,
je n’aurais jamais, quant à moi,
trouvé ce secret, je l’avoue. »
le Bergas gagne au pied, laisse son compagnon,
et vous lui fait un beau sermon
pour l’exhorter à patience.
« Si le Ciel t’eût, dit-il, donné par excellence
autant de jugement que de cornes au front,
tu n’aurais pas à la légère
intenté ce procès. Donc adieu, j’en suis hors ;
tâche de t’en tirer et fais tous tes efforts,
car pour moi j’ai certaine affaire
qui ne me permet pas d’arrêter en chemin.
En toute chose il faut considérer la fin. »
Correspondance secrète, t.II, p.161