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La Béquille du père Barnabas

La béquille du père Barnabas1
Pour le saint d’aujourd’hui2 ,
Ennemi de la bulle,
On trouve dans Paris
Plus d’un ami crédule
Pensant que la guenille
Qui vient de ce saint-là,
Vaut mieux que la béquille
Du père Barnabas.

Mais père Barnabas,
Par plus d’un beau miracle,
Beaucoup mieux mérita
D’être sur le pinacle.
Son histoire fourmille
De tous ceux qu’opéra
L’efficace béquille
Du père Barnabas.

Notre monarque enfin
Se distingue à Cythère,
De son galant destin
On ne fait plus mystère.
Mailly dont on babille,
La première éprouva,
La royale béquille
Du père Barnabas.

Notre bon cardinal,
Pour donner une place
De fermier général,
Est diablement tenace ;
Mais il en promet mille
A quiconque pourra,
Lui rendre la béquille
Du père Barnabas.

C’est l’évêque du Mans3
Qui vient, de son diocèse,
A Paris tous les ans
Pour conter des fadaises ;
Il connaît une fille
Qui mieux que son rabat
Savonne la béquille
Du père Barnabas.

Ce n’est plus Barnabas,
Qui seul dans cette ville
Excite du fracas.
Pour trouver sa béquille,
L’archevêque de Vienne4
Est aussi dans ce cas,
Il a perdu la sienne ;
Jugez quel embarras !

Le prélat consterné
Partout la redemande.
Et parmi son clergé
Surtout la recommande ;
Mais le voleur habile
Ne lui lâchera pas,
Fût-ce pour la béquille
Du père Barnabas.

Ce qui dans ce malheur
L’irrite davantage,
C’est que ce saint docteur
Faisait un bon usage
De ce cher ustensile,
Et ne méritait pas
De se voir sans béquille
Du père Barnabas.

La petite Moras5 ,
Cette riche héritière,
Suit avec grand fracas
Les traces de sa mère !
Elle a quitté la grille,
Et ne savez-vous pas
Que c’est pour la béquille
Du père Barnabas ?

Un procureur du roi6 ,
Au bureau de la ville,
Est dans un grand effroi
D’être déclaré Gille.
Croit-il que sa guenille
A sa femme plaira
Autant que la béquille
Du père Barnabas ?

Moreau, si tu te plains
De ta femme infidèle,
Crois-tu, petit robin,
Qu’elle soit criminelle ?
Non, non. Toute la ville
Avec elle dira :
Que n’as-tu la béquille
Du père Barnabas ?

Soubise7 , vengez-vous ;
Chacun cherche à vous plaire.
Donnez à votre époux
Les cornes du grand-père8 .
De Prie la digne fille,
L’arrachant de vos bras,
Vous ravit la béquille
Du père Barnabas.

Tous les mois, dans Paris,
Du juge de police
Les nymphes de Paris
Subissent la justice.
Qu’ont-elles fait, ces filles,
Et qui les réduit là ?
N’est-ce pas la béquille
Du père Barnabas ?

Il faudrait à Paris,
Ville en peuple féconde,
Marquer sur les habits
Les qualités du monde,
Et que, sur les mantilles
Des filles d’Opéra,
On brodât la béquille
Du père Barnabas9 .

Pancrace Pellegrin,
Qui sans cesse bredouille,
Voit avec grand chagrin
Siffler la rime en ouille10 ,
Sa verve qui s’enrouille,
Ne vaut sûrement pas
La vigoureuse…
Du père Barnabas.

Dans Paris depuis peu
Un nouvel Esculape11
Ne se fait plus qu’un jeu
Des maux faits à Priape.
Sa méthode est gentille ;
Sans danger on y va
Parfumer la béquille
Du père Barnabas.

Quittez, belle Vénus,
Le séjour de Cythère ;
Paris est au-dessus
Pour l’amoureux mystère.
Le tendre amour y brille,
Et l’on sait bien mieux là
User de la béquille
Du père Barnabas.

  • 1« Il y avait plus de cinquante ans que l’on chantait parmi le peuple la chanson de la Béquille du Père Barnaba, faite à l’occasion d’un capucin qui avait été chez des filles et y avait laissé sa béquille, lorsqu’elle se répandit parmi les gens du monde et devint à la mode. Ce fut vers le mois d’octobre 1737 qu’un nommé Charpentier, musicien de l’Opéra, en fit connaître l’air, qu’il avait appris d’une chanteuse dans les rues, à qui il paya à boire pour qu’elle la lui chantât. » L’air était joli, le refrain plaisant, la chanson fit fortune. « Elle eut une si grande faveur que les étrennes, les modes, les coiffures, furent pendant trois ans en béquilles. Les pains d’épices, les desserts artificiels des tables, les présents, les frisures, tout fut en béquille du père Barnaba. La fameuse chanson fut écrite sur les assiettes de dessert, on la chantait à la fin des repas, et les charlatans qui couraient les rues mettaient leurs avis en béquilles » (Mémoires de Richelieu.) (R)
  • 2Sur feu l'abbé Pâris Clairambault, F.Fr.12707 - Lorsque l’ouvrage de Carré de Montgeron ramena l’attention publique sur le diacre Pâris, le bienheureux venait d’opérer encore, au mois de mois de mars 1737, un nouveau miracle en la personne de Mlle Le Juge, fille d’un correcteur des comptes, dans la paroisse Saint‑Paul. Les médecins et les chirurgiens l’avaient laissée à l’agonie ; son confesseur lui fit boire un verre d’eau avec de la terre du tombeau du diacre ; une demi‑heure après, elle se leva et se trouva guérie. Naturellement, procès‑verbal fut dressé de cette cure subite et miraculeuse. (R)
  • 3 C’était alors Charles‑Louis de Froulay de Tessé. (R)
  • 4Le cardinal d’Auvergne, qui avait perdu une canne à béquille d’or. (M.) Le marquis d’Argenson rapporte dans ses Mémoires une anecdote qui donne une singulière idée de ce prélat, d’ailleurs fort peu recommandable par ses mœurs. « Le cardinal se trouvant au coucher de M. le Dauphin, ce prince lui fit l’honneur de l’engager à dire la prière du soir ; en quoi il se trouva que le cardinal savait mal le Pater, peu l’Ave, et confondait le Credo avec le Confiteor. On en rit longtemps. N’est‑il pas honteux qu’un prélat si grassement payé ait rompu de cette sorte avec ses devoirs de chrétien ? » (R)
  • 5Anne‑Marie Peirenc de Moras, à peine âgée de quatorze ans, avait été enlevée par M. de La Roche‑Courbon, capitaine de cavalerie du régiment de Clermont, qui avait été introduit dans la maison de Mme de Moras par M. de La Mothe‑Houdancourt et en avait profité pour courtiser la jeune fille. Mlle de Moras était encore au couvent lorsque son amant l’enleva. « Le dimanche avant la Toussaint, raconte Barbier, une femme de chambre de la mère, qui était gagnée a été chercher la fille au couvent dans un carrosse de la maison à l’ordinaire. Au sortir du couvent, la fille est montée avec la femme de chambre dans une chaise de poste postée au coin d’une rue, et a pris le chemin d’Orléans pour se rendre dans une terre dudit sieur de La Roche‑Courbon, en Poitou. » Les deux amants furent mariés au château de Coutré, le 1er novembre. La jeune fille, suivie de près par ses deux oncles, fut ramenée dans un couvent. Mais l’affaire n’en resta pas là : elle fut portée au Châtelet, puis au Parlement, et un arrêt du 21 mars 1739 condamna la femme de chambre qui avait favorisé l’enlèvement au fouet, à la fleur de lis et à neuf ans de bannissement ; le curé de Coutré, qui avait béni le mariage, à l’amende honorable et au bannissement, et le comte de Courbon (alors absent et retiré à Turin), à avoir la tête tranchée. Peu après ce scandale, Mme de Moras mourut de douleur en déshéritant sa fille, qui épousa plus tard le chevalier de Beauchamp (février 1750). (R)
  • 6« M. Moreau, procureur du Roi à l’Hôtel de Ville a épousé la fille de M. Dionis, ancien notaire et secrétaire du Roi. Elle est fort jolie. Le mariage, quoique entre jeunes gens, n’a pas été heureux. La femme a fait quelque écart que le mari n’a pas pris aussi doucement qu’il l’aurait dû ; bref, la jeune femme est sortie de la maison maritale. Un curé de Paris a voulu, au bout de quelques mois, l’y ramener : on dit ironiquement qu’elle était grosse. Le mari n’a pas voulu la recevoir. Elle a passé, dit‑on, la nuit dans la loge du portier ; cela a produit une histoire joyeuse pour le public. Ma foi, la chanson ayant pris faveur chez les chansonniers, ledit sieur Moreau a eu son petit couplet. » (Journal de Barbier.) (R)
  • 7Mme la princesse de Soubise. (R)
  • 8 Allusion au prince de Soubise, dont la femme, Anne de Rohan‑Chabot, avait été la maîtresse de Louis XlV. (R.)
  • 9Un monsieur chanta ce couplet dans les coulisses à Mlle Carton, actrice, maîtresse de M. Le Noir de Cindray, qui lui donna un soufflet en lui disant de porter cela au brodeur. (M.) (R
  • 10 A propos de la comédie de l’École de l’Hymen que l’abbé Pellegrin donna à la fin de septembre. (M.) (R)
  • 11M. Charbonnier, auteur de la fumigation pour les maux vénériens. (M.) (R)

Numéro
$0857


Année
1737




Références

Raunié, VI,188-96 - Sur feu l'abbé Pâris Clairambault, F.Fr.12707 375-77 (couplet 1-2) - F.Fr.12675, p.292-95 - F.Fr.15148, p.81-89 (fragment) - Arsenal 2934, p.318-22 (ordre tout différent) - Mazarine MS 2164, p.437 (couplets 6 à 8: Cardinal d'Auvergne)


Notes

Le quatrième couplet apparaît souvent isolé. Cf. $0857