Sans titre
Un homme de finance1
Possédant des écus à milliers
Vivant dans l’opulence
Comme font tous ces fermiers ;
Mais avare pourtant,
Le regardant de fort près à l’argent ;
Mais avare pourtant
Et toujours tout bas calculant.
De crainte de dépense
Jusque là le jeune financier
Gardait la continence,
Ou seul faisait le métier.
Mais hélas, certain jour
Apercevant de Latre faite au tour,
Mais hélas, certain jour
Pour la danseuse est pris d’amour.
Du simple badinage
Voulut aller plus loin le Crésus ;
Mais pour son pucelage
La belle veut mille écus :
Mille écus ! quel argent !
Vous n’y songez donc pas, ma belle enfant !
Mille écus ! quel argent !
C’est par trop, mais en voilà cent.
La Cartou négocie,
Et fait si bien par son grand talent
Qu’on conclut la partie,
Donnant une fois autant,
Et d’un commun aveu
On projette d’aller en certain lieu ;
Et d’un commun aveu
Notre Cartou garde l’enjeu.
On en était aux prises
Et le galant dessus un châlit
Retroussant la chemise
Des marques de mère vit,
Un ventre tout plissé,
Un antre où l’on avait déjà passé ;
Un ventre tout plissé
Fait qu’il a regret au marché.
Il voudrait s’en dédire
Et sur-le-champ laisse le métier,
Doucement se retire
Et bagage veut plier.
Il appelle Cartou,
Veut ravoir jusqu’au dernier sou.
Quand la toile est levée
Il est écrit qu’on ne rendra rien.
La chose est décidée
Et l’on l’a fait pour un bien.
Prenez votre parti
Et ne vous montrez plus jamais ici.
Prenez votre parti,
L’aze vous quille, mon ami.
- 1Sur Mademoiselle de Latre, danseuse de l’Opéra, dont un financier étant amoureux, avait fait marché à tant pour son pucelage ; mais s’étant aperçu qu’elle avait eu un enfant, il voulut ravoir son argent. La Cartou fut prise pour juge et décida par un bon mot, disant qu’il est écrit au carrefour de l’Opéra que, quand la toile est levée, on ne rend plus l’argent (Castries)
Mazarine Castries 3987, p.281-84
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