Avant-coureur de la mort de Louis XIV
Avant-coureur de la mort de Louis XIV
Sur le Pater.
Louis, qui des mortels fut jadis la terreur
Et qui sut entasser victoires sur victoires,
Qu’est devenu le temps que chacun faisait gloire
De te nommer toujours, même du fond du cœur,
Pater noster
Quel changement, hélas, quel revers de bonheur,
Vainqueur et triomphant comme un autre Alexandre,
Nous te vîmes monter, nous te voyons descendre.
Cet effet surprenant vient de toi seul, Seigneur,
Qui es in coelis
A cent places, des lois jadis tu sus prescrire,
Tantôt chez le Germain, tantôt chez le Flamand,
Ignores-tu qu’il faut les rendre promptement ?
Ou bien ton peuple en vain s’empressera de dire
Sanctificetur
De cent torrents d’impôts arrête un peu le cours,
Quitte pour tes sujets cette humeur tyrannique,
Chasse la Maintenon avec son art magique.
Elle et la Montespan ont terni pour toujours
Nomen tuum
Ici tout est sujet à la métamorphose.
Les hommes les plus forts se trouvent sans appui ;
Tel recevait la loi qui la donne aujourd’hui.
Cela fut souvent vrai, crains que la même chose
Adveniat
Travaille pour la paix, fais-la, quoi qu’il en coûte ;
Tu vois tes ennemis venir de toutes parts
Démolir à tes yeux les plus fermes remparts,
Tu les verras bientôt pour partager sans doute
Regnum tuum
Ce peuple qu se plaint, qui languit, qui soupire,
Tout prêt à succomber, gémissant sous le faix
N’a pour se soulager d’autres espoir que la paix.
Mais cet espoir est vain si tu ne veux pas dire
Fiat
Si c’est pour l’opprimer, on te voit toujours prêt.
Ministres, intendants nous mettent en chemise,
Ils dressent des édits et tu les autorises,
Et si quelqu’un se plaint, tu leur réponds que c’est
Voluntas tua
Chasse lespartisans dont tu fais tant de cas,
Punis en même temps les lâches et les traîtres ;
C’est par là que les rois se déclarent les maîtres
Et leur juste pouvoir devrait être ici-bas
Sicut in coelo
Malheureux les sujets d’un prince ambitieux
Qui pour suivre partout son air de caprice
N’écoute plus les pleurs, renverse la justice,
Sans songer que ses pas sont comptés dans les cieux
Et in terra.
Un roi, de ses sujets devrait être l’appui,
Honorant le mérite et punissant les crimes.
Mais de tes partisans nous sommes les victimes,
Puisque tu leur permets qu’ils prennent aujourd’hui
Panem nostrum quotidianum.
Arrête un peu, Seigneur, les flots de ta colère,
Détourne les malheurs qui tombent sur nos dos.
Tu peux seul nous venger et nous mettre au repos
Et pour y parvenir, un roi plus débonnaire
Da nobis hodie
Tu cours de prière en prière
Et ton cœur se dément toujours,
Cent fois plus cruel que Tibère
Crois-tu être exaucé quand tu tiens ce discours
Et dimitte nobis debita nostra
Tous tes sujets sont tes victimes
Et tu les traites en ennemis.
Crains de succomber sous tes crimes.
Malheureux prince, qu’as-tu dit
Sicut et nos dimittimus debitoribus nostris
Enfin, fatigués de t’avoir,
Après un changement tout le peuple soupire.
Mais d’un cœur tout français un reste de devoir
Malgré tous les impôts nous fait encore dire
Et ne nos inducas in tentationem
Paraît-il un édit, nous baisserons la tête.
Tel fut le règne de Néron.
A la façon dont tu nous traites
Chacun de nous, transi, dit en voyant ton nom
Sed libera nos a malo
Grand Dieu, à nos clameurs vous donnâtes enfin
Ce prince après trente ans d’attente.
Pour rendre la France contente
Reprends-le, il est temps, n’attends pas à demain.
Amen.
Arsenal 2961, p.216-21