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Pot pourri sur l’assemblée des notables

Pot pourri sur l’assemblée des notables1
Le Roi2
Sénateurs vénérables,
Écoutez, écoutez bien, notables,
Les projets admirables
De mon cher contrôleur.
Cet homme plein d’honneur
A votre bien à cœur ;
Le mien bien davantage.
Rendez, rendez-lui votre hommage ;
Mon peuple, qu’il soulage,
Bénira son destin :
De son vaste dessein
Il vous dira la fin.

Le contrôleur général3
L’État est à la gêne.
Que mon cœur, que mon cœur a de peine !
Pour alléger la chaîne
On vous imposera.
Je sais que l’on criera,
Peu m’importe cela !
J’ai dissipé les trésors de la France4  !
D’Artois, Lebrun et d’autres sont contents ;
Qui mieux que moi gouverne la finance ?
Sully, Colbert étaient des ignorants.
Pour vous tirer de l’affreuse misère,
Chacun de vous paiera son contingent ;
Voilà, messieurs, voilà tout le mystère :
Disputez-vous, mais il faut de l’argent5 .

Un parlementaire6
Quoi ! sans l’aveu du Parlement
Vouloir qu’un impôt passe ?
Nous ôter l’enregistrement,
C’est une étrange audace.
Le Roi nous bornerait-il donc,
La faridondaine, la faridondon,
A juger les procès d’autrui… biribi,
A la façon de Barbari, mon ami.

Le clergé7
Des projets de Calonne
Frémissez du récit !
Ah ! que nous fait le déficit !
Il nous la gardait bonne.
Il nous fait enrager,
Il veut nous égorger.

L’archevêque de Paris8
Mes chers confrères, mes amis,
Croyez-moi, suivez mes avis :
Si le contrôleur nous dépouille,
Souffrons-le pour l’amour de Dieu,
Et, sans vouloir lui chanter pouille,
Tirons notre épingle du jeu.

Un maire9
Si le peuple est dépouillé
Par le gentil Calonne,
N’en sois point émerveillé :
Il a doublement pillé
Le trône, le trône, le trône10 .

Un magistrat11
Avec un peu d’économie
Tâchez de sortir d’embarras.
Doit-on payer votre folie,
Quand on ne la partage pas ?
Cessez par d’injustes largesses
De vous attirer nos mépris,
Et donnez moins à vos maîtresses,
Aux princes, même aux favoris.

Un membre de la noblesse
Votre espoir en vain se fonde
Sur ce bizarre secret,
En mille erreurs il abonde,
Et ce merveilleux projet
Exige qu’on le refonde.

Le contrôleur général
Non pas, monsieur, s’il vous plaît,
Il faut charger tout le monde,
C’est mon très grand intérêt.

Le comte d’Artois12
Messieurs, cessez vos débats,
Car le Roi mon frère
Ne se départira pas
De ce qu’il veut faire.
Il faut trouver de l’argent ;
Peu m’importe à moi comment,
Pourvu qu’on en donne
A l'ami Calonne.

Le chœur des notables13
Quel désespoir !
On nous veut mettre à la besace.
Quel désespoir !
Nous ne pouvons y faire face.
Tout cède au suprême pouvoir.

Un conseiller d’État14
Ah ! monseigneur, ah ! monseigneur,
Tout est contre vous en rumeur ;
Nobles, tiers état et clergé,
Font un bacchanal enragé.
Que peuvent contre un tel sabbat
Les pauvres conseillers d’État ?

Le contrôleur général15
Eh lon là, laissez plaisanter
Les Français que l’on impose ;
Eh lon là, laissez-les chanter,
C’est le seul bien qu’on ne peut leur ôter.

Le chœur des notables16
Madame et souveraine,
Qui voyez, qui voyez notre peine,
Tirez-nous de la gêne ;
A Calonne aujourd’hui
Retirez votre appui :
Nos maux viennent de lui.

La Reine17
Calonne n’est pas ce que j’aime,
Mais c’est l’or qu’il n’épargne pas.
Quand je suis dans quelque embarras,
Alors je m’adresse à lui-même.
Ma favorite18 en fait de même.
Et puis nous en rions tout bas, tout bas.

L’auteur19
Que je vous plains…
Il ne sautera pas.

Le peuple20
Quelle remise !
On demande un nouvel impôt.
Au lieu de la poule promise,
Hélas ! nous n’aurons plus de pot,
Ni de chemise.

Or, messieurs, cette assemblée21
Qu’on tient en ces tristes jours,
A la France désolée
Ne pouvant porter secours,
Bientôt sera consolée,
Et sans de bonnes raisons
Finira par des chansons22 .

  • 1Le contrôleur général, à bout d’expédients, s’était vu contraint de revenir aux projets de réforme de Turgot et de Necker, et il avait décidé le Roi à convoquer une assemblée de notables à laquelle devaient être proposés un remaniement général des impôts et un ensemble de mesures financières destinées à remédier au déficit du trésor. Calonne se flattait de faire accepter son plan par les délégués et d’écarter ainsi toute opposition de la part des ordres privilégiés et du Parlement. La première séance des notables fut tenue le 22 février dans l’hôtel des Menus. Cette assemblée, dont le public n’attendait aucun résultat pratique, fut l’objet de toutes sortes de railleries et d’épigrammes. La pièce que nous publions obtint notamment une très grande vogue : « Le pot pourri fait fortune, lisons-nous dans les Mémoires secrets, et est recherché avec avidité, quoique tout ne soit pas merveilleux ; mais le choix des airs bien adaptés à l’esprit du couplet y ajoute beaucoup de piquant, et le goût et la finesse du chanteur peuvent faire passer pour ingénieuses et fines des choses plates et triviales, c’est une espèce de petit drame où l’on parodie la première séance de l’assemblée des notables et ce qui s’est passé depuis… Le renvoi de M. de Calonne fait qu’on se communique plus librement cette facétie, avec d’autant plus de plaisir qu’on voit que l’auteur s’est trompé dans sa prophétie. » - Voici les réflexions judicieuses que suggérait à un nouvelliste cette réunion extraordinaire des notables : « C’est la montagne qui accouchera d’une souris ou… d’un nouveau contrôleur général. On ne s’attendait pas à ce qu’elle montrerait autant de vigueur et de patriotisme… C’est une grande maladresse ministérielle, en supposant que les volontés aient été libres, d’avoir convoqué les différents ordres de l’État pour mettre sous les yeux la pénurie de notre situation ; ou l’on a bien méprisé ceux qui devaient composer cette assemblée, si l’on a cru qu’ils seraient assez vils, assez courtisans pour souscrire aveuglément à tout ce que l’on exigerait d’eux. Le plus grand nombre des membres de l’assemblée se montrent avec le zèle du patriotisme et l’intelligence des objets soumis à leur examen. Quoique le Roi ait annoncé que ces objets étaient fixement arrêtés on a prouvé que si le fond n’était pas discuté, il serait impossible de trouver des moyens d’exécution, et c’est en s’occupant du fond qu’on a reconnu impraticables plusieurs des moyens proposés par le contrôleur général. La nation a trouvé des défenseurs et des héros patriotes. » (Correspondance secrète sur la cour et la ville.) (R)
  • 2Air de Marlborough
  • 3Le discours du contrôleur général, froidement accueilli par l’assemblée, ne fut guère mieux reçu du public, aussitôt après son impression : « Il a été lu avec une avidité proportionnée à l’importance du sujet. On a aperçu partout l’adroit charlatan qui veut persuader que son remède est le seul curatif, il parle beaucoup de lui et assez mal de ceux qui l’ont précédé. Pour faire valoir sa drogue il fait connaître la maladie, qui lui paraît incurable si l’on n’adopte pas ses moyens de guérison. Soit que les esprits fussent mal disposés, soit que les moyens parussent en général aussi difficiles à mettre en œuvre que l’ont jugé les notables, ce discours a été mal accueilli du public. On voit déjà tout le nouveau plan d’administration manqué ou détruit, et si la volonté du maître essaye de lui donner une existence, on craint une crise violente par l’impossibilité de prévenir ou d’atténuer les convulsions qu’un changement total et subit doit occasionner dans une machine aussi vaste et aussi détraquée que l’est celle de nos finances. » (Correspondance secrète sur la cour et la ville.) (R)
  • 4Air : Votre bonheur, dit-on, mon petit coeur
  • 5elle ne fut pas son l’opinion de l’assemblée : « Tous les bureaux, alarmés de l’impôt territorial, ont été d’avis que l’objet de leurs délibérations devait être, non, comme le désire le contrôleur général, d’accroître la recette afin de l’égaler à ladépense, mais de voir, au contraire, si l’on ne pouvait pas diminuer la dépense de façon à la faire cadrer avec la recette. » (Mémoires secrets)
  • 6Air : La faridondaine
  • 7Air : Il était une fille
  • 8Air de M. le prévôt des marchands
  • 9Air : des fraises
  • 10Allusion à Letrosne, auteur économique où M. de Calonne a puisé son plan. (M.) (R)
  • 11Air : Avec les jeux dans le village
  • 12Air du Pot-pourri de Saint-Antoine.
  • 13Air : Quel désespoir !
  • 14Air : Ah, Monseigneur.
  • 15Air : Des Olivettes
  • 16A la reine. Air de Marlborough
  • 17 La Reine répond aux Notables. Air : La Danse n'est pas ce que j'aime.
  • 18Mme la duchesse Jules de Polignac. (M.) (R)
  • 19L'auteur au public
  • 20Air : De la Baronne
  • 21Air : Du vaudeville de Figaro
  • 22L’assemblée des notables devait avoir tout au moins pour premier résultat le renvoi de Calonne. (R)

Numéro
$1586


Année
1787




Références

Raunié, X,229-37 - BHVP, MS 555, f°146r-149r (variantes) - Mémoires secrets, XXXIV, 362-70


Notes

La présentation des Mémoires secrets diverge de celle de Raunié.