Aller au contenu principal

Dialogue entre l'ombre de Madame de Mazarin

Dialogue entre l’ombre de Madame de Mazarin,
celle de Mme de Châteauroux et de Mme de Vintimille.

Scène première
Madame de Mazarin
Quel est cet ombre ici ? quel bruit, c’est la Tournelle.
Quoi, c’est vous, chère enfant ? Quelle parque cruelle
Vous amène en ce lieu ?

Madame de Châteauroux
                      C’est moi, chère maman,
L’objet infortuné d’un malheur étonnant.

Madame de Mazarin
A quel funeste sort fûtes-vous exposée ?
Est-ce votre beauté qu’on aurait méprisée,
Ou contre mon avis quelque mari jaloux ?
Quelle main ici-bas vous a précipitée ?
Parlez.

Madame de Châteauroux
            J’en suis épouvantée

Madame de Mazarin
Quel si grand crime enfin avez-vous donc commis ?
Les dieux sans nul sujet ne sont nos ennemis.

Madame de Châteauroux
Est-il possible, hélas, que de mes avenures
Le bruit n’ait pas percé ces demeures obscures ?

Madame de Mazarin
Non, jusqu’à ce moment le sévère Minos
Sans pitié me retient dans un morne repos.
Faites-m’en le récit ; le soin de votre enfance
Exige de vous au moins cette condescendance.

Madame de Châteauroux
Mille fois plus cruelle à mon cœur embrasé,
Radamante m’impose un supplice opposé,
Veut que les habitants de ce lugubre empire
Sachent les grands malheurs dont mon âme soupire.
Mon déplorable état ne vous surprendra plus,
Tous les déguisements sont ici superflus.
A peine eut-on fermé votre juste paupière
Que ma sœur de Mailly m’admit dans la carrière
Dans laquelle périt Vintimille ma sœur.

Madame de Mazarin
N’en parlez point surtout. Sachez que la fureur
Est la même entre nous sur ces rivages sombres ;
Lorsque par quelqu’hasard se rencontrent nos ombres.

Madame de Châteauroux
Oui, l’on ressent ici les mêmes impressions
Que sur eux on reçoit des folles passions ?

Madame de Mazarin
Plus vivement encore ; mais suivons votre histoire.
Avez-vous supplanté votre sœur ? votre gloire
Je vous l’ai dit cent fois, était due à vos yeux.

Madame de Châteauroux
Ah ! je vais contenter vos désirs furieux.
Louis presque aussitôt fut sensible à mes charmes.
Ses regards à ma sœur causaient beaucoup d’alarmes.
Richelieu dont le nom me sera toujours cher
Détermina ce cœur que j’avais su toucher.

Madame de Mazarrin
Ne fut-ce pas Mailly que l’on mit à la place ?

Madame de Châteauroux
Le désir de la reine enfin fut efficace.
Votre mort lui causait un sensible tourment.
On accorda Villars à son empressement,
Puis son amour pour vous me fit la même grâce.
Malgré le vieux Mentor, dont l’inutile audace,
De mon petit mari dédaigne-t-il le renom sic]
Qui, comme vous saviez, n’en avait que le nom.
Le cardinal, forcé dans son inquiétude,
A la reine prédit ma noble ingratitude.
Je l’avoue, mon cœur rempli d’ambition
A ses bontés ne fit aucune attention,
Et loin de la servir avec reconnaissance
Des attraits séducteurs j’employai la puissance
Pour gagner de Louis la plus tendre faveur.
J’y réussis bientôt, il renvoya ma sœur

Madame de Mazarin
Dites-moi quelle fut alors votre conduite.

Madame de Châteauroux
Je feignis résister à l’ardente poursuite
Du monarque amoureux, et le sage Bourbon
Me donna un conseil que je trouvais très bon.
Je fis donc mon marché, de ma sœur l’infortune,
Et de Louis enfin la faveur importune
M’engagèrent à prendre mes précautions.

Madame de Mazarin
Et que fit votre sœur en son affliction ?
Suivit-elle à l’instant Montespan, La Vallière ?

Madame de Châteauroux
Après avoir ramé contre le vent contraire
Et tenté quelque temps d’inutiles efforts,
Elle implora du Roi les immenses trésors
Et pour cent mille francs de dettes contractées
Pendant le cours brillant de six ou sept années.
Le Roi de me voir seul alors impatient
De l’énorme mémoire adopta le montant,
Ses dettes en furent chargées, mais de cette créance
Chacun perdit un tiers de plus pour sa dépense
Il ne lui fut donné que quatre-vingt mille francs
De l’hôtel de Canaple encore les bâtiments
N’en sont-ils pas fini que je plaindrais sa peine
Si le fameux Renaud n’eût su rompre sa chaîne
Mais que dis-je, son sort doit me paraître heureux,
Le Ciel est seul l’objet de ses plus tendres vœux
Et malgré la noirceur de son ingratitude
Le soin de me servir fut son unique étude.

Madame de Mazarin
Vous avez bien raison d’envier son destin,
Des sincères dévots le bonheur est certain.
Je vois passer souvent les ombres fortunées
Qui vont se reposer dans les Champs-Elysées,
Pendant que dans ce lieu on n’entend que soupirs,
Que funestes regrets, que stériles désirs.
Mais reprenons ici le cours de votre histoire.

Madame de Châteauroux
Je goûtais à longs traits les fruits de ma victoire,
Et l’amour de Louis augmentant tous les jours,
La mort du cardinal augmenta nos amours,
Et mon ambition n’eut plus de défiance.

Madame de Mazarin
Qui l’a pu remplacer, cette vieille éminence ?

Madame de Châteauroux
J’avais dans le conseil placé le grand Tencin,
Qu’on croyait devoir être le second souverain,
D’Argenson, de Breteuil, par lui tenaient la place,
Homme d’un grand esprit, dont l’ignorante crasse
En ce point seulement eût eu plus d’un écueil
S’il avait remplacé tout autre qu’un Breteuil.
Il s’est formé depuis, la cour fut attentive
Au parti que prendrait dans cette alternative
Louis. Il sse charge de son gouvernement.

Madame de Mazarin
Quels rôles font mon fils et mon gendre à présent ?

Madame de Châteauroux
Votre fils fait le même [ ?] et puisqu’il faut tout dire
De Maurepas sous peu j’aurais détruit l’empire.

Madame de Mazarin
Que vous a-t-il donc fait ?

Madame de Châteauroux
                                      Rien, mais à Richelieu
Il a déplu, c’est assez.

Madame de Mazarin
                                      Il est donc votre dieu ?

Madame de Châteauroux
Mais je lui devais sur ma sœur la victoire
Et de plus il était le soutien de ma gloire.

Madame de Mazarin
On ne peut point blâmer un si juste retour.
En femmes qu’aviez-vous ? votre sœur Flavacourt.

Madame de Châteauroux
Je conservai longtemps pour elle la tendresse
Qui nous liait depuis notre tendre jeunesse.
Mais ayant entrepris sur mes plus nobles droits
En me parlant toujours du charmant d’Agenois
Je l’exclus de Choisy. Il n’en fut pas de même
De Montravel pour qui mon zèle fut extrême.

Madame de Mazarin
Vous me faits plaisir, la chère Montravel,
Sans doute vous l’avez conduite près de l’autel
Pour quelque digne hymen.

Madame de Châteauroux
                                  Oui, je l’ai fait duchesse
De Lauraguais. Le sang bien plus que la richesse
Me le fit accepter sur elle entièrement
Je comptais et de plus mes secrets sentiments
Lui étaient confiés, enfin j’en étais sûre.
La hardiesse et l’esprit sont sa double parure.

Madame de Mazarin
Mais votre sœur assise et vous restez debout
Me paraît un contraste affreux de bout en bout.

Madame de Châteauroux
En lui donnant ce rang, j’avais dans mon idée
De remontrer au Roi qu’étant favorisée
Je ne pouvais souffrir cet ascendant sur moi,
Qu’il pouvait m’affranchir de cette dure loi
Et en lui rappelant la Vallière et Fontange
Ce généreux monarque en leur état étrange
Ne laissa pas longtemps mon cœur embarrassé
Un jour qu’il m’aborda d’un air plus empressé
Il laissa dans mes bras une riche cassette
Me disant que ma joie allait être complète
Et qu’il ne craindrait plus l’effet de mon courroux
Je l’ouvre et je trouve titre de Châteauroux
Le brevet de duchesse et le fonds vaut de rente
Quatre-vingt mille francs.

Madame de Mazarin
                                Que mon âme est contente.
Dieux, que vous ai-je fait pour n’avoir pas vécu
Au moins un an de plus.

Madame de Châteauroux
                  Maman, mon cœur est convaincu
Que vous auriez été ma plus sincère amie.

Madame de Mazarin
Avec Lauraguais, quelle autre compagnie
Aviez-vous choisie ?

Madame de Châteauroux
La Duchesse et son train, la grande Bellefond et la bonne d’Antin,
Boufflers s’y vint fourrer, mais sous mauvais augure
Car sa méchanceté l’en fit bientôt exclure,
Le D’Egmont quelquefois ; enfin le plus souvent
Nous n’étions que nous deux.

Madame de Mazarin
Et pour vos confidences avec Richelieu ?

Madame de Châteauroux
D’Ayen, Gontault, Soubise.
Luxembourg et Guercy, qui de mon entremise
Se sont fort bien trouvés, Coigny, d’Aumont, Grille,
Rubempré votre frère, et le grand Dumesnil.

Madame de Mazarin
Quel nom viens-je d’entendre ? Ah ! mon âme en soupire.
Que fait-il ?

Madame de Châteauroux
              Un malheur souvent un autre attire.

Madame de Mazarin
Achevez. Qu’a-t-il donc éprouvé de fâcheux ?

Madame de Châteauroux
Calmez-vous, ce malheur l’a rendu plus heureux.
Apès votre décès, mais comme par une envie
Contre l’amour voulut attenter à sa vie
Il reçut un coup qui causa son bonheur
Et qui sait mieux que lui l’art de gagner un cœur ?
Celui des généraux serait-il hors d’atteinte
Aux traits qui font trembler l’âme la plus contrainte ?
Il s’attache à Noailles, il s’en rendit vainqueur
Il dispose en un mot de toute la faveur
Nous venons de lui faire une galanterie
Du brevet d’inspecteur de la cavalerie.
Il est très à la mode.

Madame de Mazarin
                       Et pourquoi de mon temps
N’a-t-il rien obtenu ? mais ce contentement
Vous était réservé ; je suis aussi sensible
Que vous, quoiqu’en un lieu aux biens inaccessible.
J’ai le cœur bon français et je voudrais savoir
Des armes de Louis jusqu’où va le pouvoir.

Madame de Châteauroux
Quand la fatale mort vous arracha la vie
Prague était assiégée, la Reine de Hongrie
Reprenait le dessus. Mais cet événement
Fut par les deux partis conté différemment
Suivant les intérêts de Broglie et de Belle-Isle.
Les secours envoyés deviennent inutiles
Par la timidité de Fleury, de Breteuil
Qui retenait leur marche, appréhendant l’écueil.
Des rusés Hollandais Charles lève le siège,
Tourne sur Maillebois pour lui dresser un piège.
Mais il entre en Bavière où Broglie le joignit.
Avec bien du danger Belle-Isle sortit
De Prague et de Bohème ramenant dans la France
Huit mil hommes au plus. Ma secrète vengeance
Fit tourner conre lui cette expédition ;
Il est disgrâcié, mais son attention
Le tira promptement de cet état pénible.
Broglie reste en Bavière, où son humeur terrible
Déplut à l’empereur, pendant que sur le Rhin
Aux Anglais assemblés Noailles met un frein.
Il ne tenait qu’à lui, dit-on, de les défaire,
Mais son neveu Gramont fit échouer l’affaire,
Dans laquelle périrent beaucoup d’honnêtes gens.
Le fier Broglie revient, quitte les Allemands.
On l’exile au retour, et la France alarmée
Voit Saxe avec plaisir conduire son armée.
Bientôt des ennemis les bataillons épars
S’avancent jusqu’au Rhin mençaent nos ramparts
Le Rhin n’est plus pour eux une barrière
L’Anglais passe à nos yeux, mais ls fureur altière
Sur nos fautes l’aveugle, et Noailles rendu
Nous conserve un pays que l’on croyait perdu.
On envoie Coigny pour défendre l’Alsace,
Et Noailles revient pour partager la place
Vacante par la mort du fâcheux cardinal
Qui nous fit peu de bien parmi beaucoup de mal.
Malgré tous nos malheurs, et la perte et la peine
Noailles fut reçu comme un autre Turenne.
Mais pour bien réparer tous ces mauvais soucis
De ses armes Louis veut faire un noble essai
Je pris bien volontiers part à cette entreprise
Et pour mieux éluder l’orgueil de la Tamise
Dont le prince se croit le maître de la mer,
Je fis partir Conti pour forcer par le fer
Les monts ambitieux qui ferment l’Italie,
Et Coigny fut chargé de réprimer l’envie
Que Charles témoignait de traverser le Rhin.
Noailles sous Louis fut attaquer Menin
Et Saxe destiné pour couvrir sa conquête.
Mais pendant que le Roi pour ce dessein s’apprête
De la jeune Dauphine il nomme la maison,
Ou plutôt Richelieu et moi en disposons.
Dans cet arrangement votre ancienne tendresse
Eut ses droits et sentit que j’en étais maîtresse.
C’est par un pur effet de cette même loi
Que Grille fut commandant des grenadiers du Roi.

Madame de Mazarin
Ah ! que vous m’apprenez, ma fille, d’aventures ;
Vous dissipez l’ennui de ces sombres clôtures
Par le charmant effet de votre affection
Quelle sera pour vous mon obligation.
Ah, reprenez le cours de votre complaisance

Madame de Châteauroux
Louis part, et je vais m’établir à Plaisance
Où j’apprends tous les jours des nouvelles du Roi
Qui remplissent mon cœur et de joie et d’effroi.
Se lettres, ses amis, tout m’annonçait sa gloire ;
Je craignais ses travaux, je craignais la victoire
Qu’on achète souvent bien plus qu’elle ne vaut.
Je craignais les apprêts qu’on faisait sur l’Escaut
Lorsque j’apprends que Charles s’avance vers l’armée.
De ce départ soudain je me sens alarmée
Et je crains que Louis ne cède à ses attraits.
J’écris à Richelieu et des plus tendres traits
Je lui peins mes frayeurs et mes justes alarmes.
Le Roi l’apprend, quoiqu’au milieu des armes ;
L’amour réveille en lui ses droits et demande à me voir
Je pars avec Modène, sans songer au devoir
Que l’on doit ménager. Quelle noire furie
M’avait, pour mon maheur, soufflé la jalousie.
J’arrive à Lille enfin, Louis reste huit jours ;
Nous goûtons les plaisirs des plus tendres amours
Mars l’appelle vers Ipres, et ce dieu de la gloire
Sur Cupidon l’emporte ; il court à la victoire ;
Des lettres chaque jour, pleines d’empressement,
De son zèle parfait me sont de sûrs garants.
Ypres tient onze jours, le Roi revient à Lille
Me prouver son amour et me rendre tranquille.
Mais le dessein de voir les villes d’alentour
Pour quelques jours encore l’arrache à mon amour.
Cependant qu’à grands pas il visite la Flandre
Qui lent dans son abord ne nous fit point de peine ;
Mais bientô, t infectant et la tête et le cœur,
Nous ne pûmes longtemps cacher la maladie
Qui nous déconcertait et menaçait sa vie.
Mes ennemis jurés, Bouillon et Villeroy,
Jusqu’au petit Fleury, conspirèrent contre moi,
Animés par l’ardeur des parents du monarque
Qui le croyaient déjà la proie de la parque.
Alors le vertueux mais barbare Soissons,
Du fameux Loyola naguère le nourrisson,
Il annonce à Louis la fatale colère
Du ciel s’il ne renonce au désir de me plaire.
Il veut que Lauraguais et moi dans le moment
Avec éclat de Metz sortions honteusement.
Nous perdons notre place, hélas, quelles alarmes !
Cieux qui m’entendez, fut-il sous le soleil
Par votre ordre jamais un traitement pareil ?

Madame de Mazarin
Ma fille, je prends part à votre énorme peine.
Si quelque chose peut soulager votre gêne
En certains lieux c’est l’inconstance du sort
Qui malgré nos désirs nous entraîne à la mort.
Quoi, Soissons, dont le père a reçu la naissance
Du petit Cupidon, ne veut pas qu’on l’encense.
Mais comment Richelieu, d’Ayen, vos favoris
Ont-ils pu tolérer cet indigne mépris ?

Madame de Châteauroux
Ils n’avaient plus d’accès, la cour était fermée.

Madame de Mazarin
Et cette chose triste fut-elle enveloppée ?
Quel rôle avez-vous fait sous le règne nouveau ?

Madame de Châteauroux
Les larmes des Français l’ont tiré du tombeau.
Il vit, plein des horreurs d’une douleur extrême.
La Reine avec sa cour, et le Dauphin lui-même
Y revinrent trouver le Roi qui lors convalescent
Donne au royaume ému un spectacle perçant.
Mes ennemis, contents d’une telle victoire,
Metttaient déjà Louis au comble de la gloire.
Châtillon au Dauphin des plus noires couleurs
Dépeint adroitement mes plaisirs, mes malheurs,
Mais la santé du Roi se trouvant rétablie,
Il court pour terrasser la fureur ennemie
Qui s’enfuyait déjà devant ses étendards.
Il vient devant Fribourg renverser ses ramparts.
Mais animant son cœur qui n’était que de glace
Imperceptiblement l’amour y trouve place.
Richelieu en profite et du digne Soissons
Il consume à l’instant la pieuse moisson.
Louis déjà s’ennuie à la longueur du siège,
Retardant le plaisir de l’amour qui l’assiège.
Il n’attend pas enfin que les forts soient rendus
Il vole vers Paris, à ses feux éperdus.
A peine d’un regard honoré sur la route
Des peuples que le zèle rassemblerait sans doute.
Châtillon par l’exil perd son gouvernement
Et c’est le premier trait de son ressentiment.
A la femme à l’instant on ôte aussi la place.
Soissons bien conseillé prévient la disgrâce
Et tous mes ennemis subissent le même sort.
Enfin, depuis peu, par un joyeux abord
Maurepas, votre gendre, apporte à ma toilette
Un billet de Louis dans lequel il répète
En des termes touchants sa mortelle ardeur
Et promet, dans les transports de son cœur,
D’éteindre pour toujours le tendre souvenir
Des malheureux auteurs d’un si noir déplaisir
Mais des dieux autrement la vengeance en décide
Et je ressens le feu d’une fièvre putride
Qui me met en six jours aux portes de la mort
Malgré les vœux ardents, malgré les nobles efforts
De tous mes favoris, de la chère Modène
Dont je regrette la tendresse et la peine.
Segaud vient pour m’aider à mériter les cieux.
Cet homme à beaucoup près n’est pas si scrupuleux
Que Soissons ; il s’en tient à mes belles promesses
Et veut que de mon bien je fasse des largesses.
Stôt qu’il m’eut quitté, je disposai de tout,
Et ma soeur de Mailly m’assiste jusqu’au bout.
Au plus bel âge enfin il faut quiter la terre.

Madame de Mazarin
Rien n’égale, ma fille, une telle misère.

Madame de Châteauroux
Mais qu’aperçois-je ici ? quels spectres effroyables !

Madame de Mazarin
De ce sombre manoir ce sont les habitants.
Voyez-vous arriver l’ombre de Vintimille ?
Ma fille, je vous laisse avec elle, ma bile
Pourait bien s’échauffer.

Madame de Châteauroux
                             Quel triste contretemps
Faut-il que je lui parle ? Hélas !

Scène Deuxième
Mesdames de Châteauroux et de Vintimille

Madame de Vintimille
Ma belle enfant,
Quoi, sitôt en ces lieux ?

Madame de Châteauroux
Ah !

Madame de Vintimille
Répondez, de grâce,
Qui vous amène ici ? la disgrâce ?

Madame de Châteauroux
Craignez mon courroux
Et sachez respecter l’ombre de Châteauroux.

Madame de Vintimille
Que ce nom est pompeux ! D’où tenez-vous ce titre ?

Madame de Châteauroux
De la bonté du Roi malgré la vieille mitre
Qui disposait de tout ; il suivit mon ardeur
Qu’il récompensa mieux que la vôtre, ma sœur.

Madame de Vintimille
Bon ! vous m’avez remplacée ; par quelle adresse
Avez-vous de Mailly supplanté la tendresse ?

Madame de Châteauroux
Est-il si difficile à se l’imaginer ?
Que Mailly ou que vous l’ayez su gouverner,
C’est bien plus surprenant.

Madame de Vintimille
Vous êtes dédaigneuse
Nous voyons tous les jours Duclos et la Couvreuse.

Madame de Châteauroux
Ah ! justes dieux !

Madame de Vintimille
                      Comme cela vous fait peine !

Madame de Châteauroux
J’enrage !

Madame de Vintimille
               Vous aurez bien un autre supplice
Qu’est-ce qui vous a mis dans ce précipice ?

Madame de Châteauroux
Cruelle Rhadamanthe.

Madame de Vintimille
                          Que vous a-t-il fait ?

Madame de Châteauroux
C’est parce qu’il m’oblige de voir un tel portrait
Et de vous raconter mes tristes aventures.

Madame de Vintimille
Minos m’impose ici des peines bien plus dures.
Il veut que l’on m’insulte et se moque de moi.
Mais tirons-nous d’ici, ils viennent, je les vois.

 

Numéro
$3644


Année
1745 janvier




Références

Clairambault, F.Fr.12713, p.5-23 - Maurepas, F.Fr.12648, p.3-22 - F.Fr.10477, f°200-208 - F.Fr.13656, p.427-45 - NAF.9184, p.534-47