Les Reproches de La Tulipe à Madame de Pompadour
Si vous vous contentiez, Madame,
De rendre le roi fou de vous,
L'amour étant l'affaire des femmes.
Nous n'en aurions aucun courroux,
Comprenez-vous1
?
Mais depuis quelque temps. Marquise,
Vous voulez gouverner en tout ;
Laissez-moi dire avec franchise
Que ce n'est pas de notre goût.
Comprenez-vous ?
Que vous nommiez des éminences
et des abbés tout votre saoul,
Que vous régentiez les finances,
Après tout le soldat s'en fout.
Comprenez-vous ?
Mais, quand vous nommez, pour la guerre
Certain général archifou.
Il est normal que le militaire
Vienne un peu vous chercher des poux,
Comprenez-vous ?
Parce qu'un beau soir, à Versailles,
Vous avez joué les touche-à-tout,
Nous avons perdu la bataille
Et moi je n'ai plus qu'un genou,
Comprenez-vous ?
Je ne suis pas méchant, Marquise,
Mais vous savez, j'aimais beaucoup
Tous ces amis qui, sous la bise,
Ce soir ne craignent plus le loup,
Comprenez-vous ?
Je l'aimais bien, mon capitaine :
Il est tombé percé de coups ;
C'était un bon gars de Touraine,
Il ne rira plus avec nous,
Comprenez-vous ?
Tous ces amis, chère Marquise,
Seraient aujourd'hui parmi nous,
Si vous n'aviez nommé Soubise,
Cet incapable ! Ce filou !
Comprenez-vous ?
Car ce n'est pas un jeu la guerre,
Madame, il s'en faut de beaucoup !
On peut y perdre, comme mon frère,
Ses entrailles sur les cailloux,
Comprenez-vous ?
Mais je ne fais pas de manière,
Et si je pleure devant vous,
C'est que mon père est dans la terre
Et que ma sœur n'a plus d'époux.
Comprenez-vous ?
Du sang de mes chers camarades,
Un ruisseau rougit tout à coup ;
Aucun poisson ne fut malade,
Car les poissons avalent tout,
Comprenez-vous ?
Mais quand nous n'aurons plus de larmes,
Quand nous serons à bout de tout,
Nous saurons bien à qui, Madame,
Il nous faudra tordre le cou,
Comprenez-vous ?
- 1Une autre chanson, «les reproches de La Tulipe à Madame de Pompadour» retrace ce cruel épisode de la guerre de Sept Ans. Les paroles ont été attribuées, sans qu'on ait la certitude qu'il en fût le véritable auteur, à Voltaire. Dans ce texte, il est reproché à La Pompadour d'avoir usé de son influence pour mettre à la tête d'une armée française un incapable notoire, le général Charles de Soubise. [source inconnue)
Inconnue