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L'Arrivée de l’ambassadeur des Ottomans

L'arrivée de l'ambassadeur des Ottomans1
Or venez voir, petits et grands,
L’ambassadeur des Ottomans2 .
Il arrive de la Turquie
Et a porté de l’Arabie
Un rare et superbe présent
Pour notre monarque puissant3 .

Il amène de beaux chevaux,
Montés par des gens sans chapeau ;
Mais leurs turbans très magnifiques
Font l’admiration publique.
Vit-on jamais si beau bonnet
Que le turban de Mehémet ?

Les jolis dragons d’Orléans
Quatre à quatre marchent devant ;
Puis venait la belle livrée
Du riche maréchal d’Estrée,
Dont les jeunes laquais poupins
Plaisent à toutes les catins.

Après les fins chevaux du roi
Paraissait sur son long palefroi
Le grand ministre de la Porte,
Précédé d’une belle escorte,
Accompagné du maréchal,
Qui se tient fort bien à cheval.

Suivaient les beaux grenadiers
Et plus de mille cavaliers
Du régiment cornette blanche,
Qui portent le noir sur la manche.
Ils avaient tous le sabre en main,
Et cependant sont fort humains.

Ils arrivent chemin faisant
Aux environs du pont tournant4 .
C’est là que l’on vit sous les armes
Les mousquetaires, les gens d’armes
Et les nobles gardes du corps,
Revêtus de beaux justaucorps.

Lors le glorieux Celebi
Traversa d’un air fort poli
Le grand jardin des Tuileries,
Et puis avec cérémonie
Il descendit à l’escalier ;
Son cheval ne pouvant monter.

Au roi se voyant présenté,
Il dit à Sa Majesté :
« Puissant empereur de la France,
Dont chacun vante la puissance,
Je viens ici dans votre cour
Pour vous souhaiter le bonjour.

« Non, les chrétiens n’ont point de roi
Qui vaille celui des Français.
Près de vous le roi d’Allemagne,
Les rois d’Angleterre et d’Espagne,
Qui possèdent si grands États,
Semblent de petits potentats.

Partout, quoique jeune et petit,
On vante votre bel esprit,
Et l’on dit par toute la terre
Que vous serez grand dans la guerre,
Et que vos exploits éclatants
Vaudront ceux de Louis le Grand. »

Notre roi lui a répondu :
« Monsieur, soyez le bienvenu.
Je veux vous faire connaître
Que le grand sultan votre maître,
M’envoyant un ambassadeur,
M’a vraiment fait un grand honneur. »

Puis, apercevant le Régent,
Tout chamarré d’or et d’argent,
Lui a fait une révérence,
Afin d’honorer la régence
D’un prince partout si vanté
Et parent de Sa Majesté.

Or prions notre grand Sauveur
Pour le salut du grand seigneur ;
Qu’il reconnaisse le Messie
Et que son âme convertie,
Sortant de son aveuglement,
Bientôt renonce à l’Alcoran.

  • 1Autre titre: L’entrée de l’ambassadeur de la Porte (Clairambault)
  • 2L’entrée de l’ambassadeur eut lieu seulement en mars 1721. Nous avons maintenu la pièce à la place qu’elle occupe dans le Recueil Clairambault pour ne point la séparer de la précédente. (R)
  • 3« Dimanche 16 mars. L’ambassadeur turc a fait son entrée dans Paris, à cheval, accompagné de M. le maréchal d’Etstrées et de M. Rémond, introducteur des ambassadeurs. Il avait un équipage très leste et très magnifique. Il y avait un concours de peuple étonnant. Le roi était incognito dans la place Royale, chez le marquis de Boufflers, jeune seigneur, fils du maréchal. Le vendredi, 21 mars, l’ambassadeur alla chez le roi. La maison du roi, cavalerie, faisait un très bel effet dans le rond, vis‑à-vis le pont des Tuileries, et les gardes françaises et suisses le long du jardin. On l’a fait entrer par le derrière de la maison, parce que la véritable entrée n’est pas assez belle pour un Louvre. Le roi était sur un trône au bout de la petite galerie, avec un habit brodé de diamants. On a été le voir par curiosité. Toute la cour y était magnifique. » (Journal de Barbier.) (R)
  • 4« Il est au milieu du fer à cheval qui termine le jardin des Tuileries ; il fut construit en 1716 sur le dessin ingénieux du frère Nicolas Bourgeois, religieux augustin du Grand‑Couvent. Ce pont facilite la communication des Tuileries à la place Louis XV et avec les cours de la Reine et des Champs‑Élysées. En 1721, comme le roi habitait alors le château des Tuileries, l’ambassadeur extraordinaire du Grand Seigneur Said‑Effendi passa sur ce pont avec toute sa suite, pour aller à l’audience de Sa Majesté. » (Hurtaut, Dictionnaire de Paris.) (R)

Numéro
$0427


Année
1720 (Castries)




Références

Raunié, III,263-67 - Clairambault, F.Fr.12697, p.449-52 - Maurepas, F.Fr.12630, p.289-92 - Mazarine Castries 3983, p.88-92