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La Rose et l’étourneau

La rose et l’étourneau1
L’aimable fille du printemps,
La rose, à qui tout rend hommage,
Vit au nombre de ses amants
Un étourneau du voisinage.
Sans regret il avait quitté
De ses frères la troupe errante
Pour ranger son âme inconstante
Sous l’empire de la beauté.
Perché sur un buisson d’épine
Où la rose tenait sa cour,
Il ne cessait à sa voisine
De jurer un fidèle amour. —
Mille autres amants, lui dit-elle,
Chaque jour m’en jurent autant ;
Mais, si je cessais d’être belle,
Aucun d’eux ne serait constant. —
Ah ! dit l’oiseau, vous verrez naître
En moi des feux toujours nouveaux ;
J’ose en prendre à témoin le maître
Des roses et des étourneaux.
Le petit dieu dans sa volée
Entendit faire ce serment,
Il retint son souffle un moment
Et la nature fut glacée ;
La rose en perdit ses appas.
Son éclat, sa fraîcheur passèrent ;
Zéphyrs, papillons délogèrent,
L’étourneau ne délogea pas.
Calmez, lui dit-il, vos alarmes,
Si mon cœur suffit à vos vœux,
Il vous reste bien plus de charmes
Qu’il n’en faut pour me rendre heureux. —
Sans faire une épreuve nouvelle,
L’Amour, étonné du succès,
A la fleur rendit ses attraits
Et l’oiseau seul fut aimé d’elle.

De la rose facilement
On devine la ressemblance :
C’est moi qui suis l’oiseau constant,
Mais je n’ai pas sa récompense.

  • 1« Mme la princesse d’Hénin est une jeune et jolie femme, qui a eu depuis peu la petite vérole, ce qui a effarouché tous ses adorateurs en grand nombre, même le chevalier de Coigny. M. de Lisle, capitaine de dragons, a profité de cette désertion pour pousser sa pointe, et voici comme il a ingénieusement fait sa déclaration sous le voile de l’allégorie ». (Mémoires secrets) - La princesse avait toute liberté pour prêter l’oreille aux propos galants des courtisans, car son mari ne s’inquiétait guère d’elle. « Elle s’est vue délaissée, raconte la baronne d’Oberkirch, pour Mlle Arnould. Elle ne prit jamais la chose au grave et prétendait, au contraire, que la célèbre actrice était le vengeur de ses maux. Elle aimait son mari juste assez pour ne pas le haïr, elle se montrait charmée qu’il eût ce qu’elle appelait ses occupations. Un homme désœuvré est si ennuyeux ! ajoutait-elle. Ce pauvre prince d’Hénin était, cela est vrai, le roi des ennuyeux. » Le comte de Lauraguais, dont l’actrice était la maîtresse en titre, imagina un moyen plaisant pour se venger des assiduités du prince. Il demanda à la Faculté de médecine de se prononcer sur les dangers que l’ennui présentait pour la Santé ; la Faculté répondit que l’ennui pouvait produire des indispositions et causer à la longue des maladies ou même la mort. Muni de ce certificat, le comte chargea un commissaire de police de porter plainte contre le prince d’Hénin comme coupable d’homicide sur la personne de Sophie Arnould, depuis plus de cinq mois qu’il ne bougeait de chez elle. Cette singulière affaire n’eut pas de suite, mais elle couvrit le roi des ennuyeux d’un nouveau ridicule. (R)

Numéro
$1369


Année
1774

Auteur
de Lisle, capitaine de dragons



Références

Raunié, IX,8-10 - Mémoires secrets, VII, 207-08