Le Point de vue ou la Cheminée merveilleuse
Le Point de vue, ou la Cheminée merveilleuse
Romance allégorique
L’occasion fait le larron.
Je l’ai souvent entendu dire.
Pour le prouver, un fait je vais vous dire.
Du dieu Plutus un des chers favoris
Logeait dans le quartier des heureux de Paris.
De sa demeure il avait fait l’emplette.
Elle était spacieuse, en ornements complète,
Et les gens avant lui qui l’avaient habitée
Raffinant chaque jour sur les commodités
Avaient su décorer une dernière pièce.
Dans une cheminée il est de la raison
De mettre un contre-cœur ; à celle en question
Il en paraissait un scellé à l’ordinaire.
Cependant par machine il s’ouvrait par derrière
Si bien que l’occupant ce côté mitoyen
Chez le Riche à toute heure entrait par ce moyen.
Or notez qu’il avait épouse intempérante,
Brune, fière et même un peu savante.
Aussi était-ce tout ce qu’il en avait eu
En lui donnant le droit de le faire cocu.
La chronique de plus dit qu’avant l’hyménée
De la belle il avait joui plus d’une année,
Que fidèle à l’amant elle en fit un époux
Qui peu de temps après devint mari jaloux.
Chacun s’en étonnait, il la savait de race
Où l’austère vertu ne tient guère de place.
Princesses de coulisse, à moins de faire horreur,
Peuvent très rarement transmettre de l’honneur.
Quoi qu’il en soit, notre homme échauffe sa cervelle,
Croit voir en chaque objet son épouse infidèle,
Resserre bien la sienne et veille sur ses pas,
Censure jusqu’aux soins qu’elle a de ses appas.
Mais femme un peu jolie aime toujours à plaire.
Celle-ci languissait sans galant, solitaire
Souvent à la campagne, au milieu des forêts,
Confiée aux argus qui rompaient ses projets,
Ses longs cheveux épars, habillée en déesse,
Elle guettait l’instant de finir sa détresse.
Amour en eut pitié, vue que ses intérêts
Voulait qu’on employât de si charmants attraits.
Ce dieu qui ne connaît de puissance bornée
Lui fit une faveur touchante, inopinée.
Un jour de la saison du froid engourdissant,
Les pieds sur ses chenets à l’aise se chauffant
(Cela se sous-entend d’une femme esseulée
Qui montre à son foyer son antre désolé)
Elle semblait tranquille, et sans penser lisait
Roman plus que gaillard qu’en secret on vendait.
Alors un petit bruit soudain la vint distraire,
Et du fond du foyer une double lumière
Sort et semble se joindre à quelques mots épars.
Elle écoute et bientôt ses inquiets regards
Voyent sa cheminée ouverte vers la plaque
Qui lui montrait d’un homme une infaillible marque.
Moins surprise qu’émue à cet aspect touchant,
Le bien considérer fut son seul mouvement,
Mais de la vision craignant d’être la dupe
Pour mieux s’en assurer elle rabat sa jupe,
Observe le porteur du poinçon précieux
Par qui sont fabriqués les mortels et les dieux,
Voit qu’il a talons rouges, en tire bonne augure.
C’était le préjugé d’une heureuse aventure.
Le luxe dans Paris confondant tous les rangs
Respecte au moins ce ton qui distingue les grands.
Que vois-je, dit la belle, et par quelle rencontre
Cette plaque en s’ouvrant un tel objet me montre.
Calmez-vous, dit plus bas le vis-à-vis prudent.
Je vais vous mettre au fait de ce rare incident.
J’ai par un pur hasard aperçu la coulisse,
En l’examinant mieux découvert l’artifice.
Sans doute il a servi de semblables amants
Que Pyrame et Thisbée, et moins qu’eux innocent
D’abord j’ai doucement ouvert cette machine
Vous lisez et j’ai vu que vous étiez divine.
Je brûle de louer des appas si touchants.
Vous voyez sur mes sens combien ils sont puissants.
Ah ! ne refusez pas, adorable voisine,
Que leur panégyrique à l’instant je termine.
Il dit, et divisant les flammes des foyers
Ainsi qu’un salamandre il franchit les brasiers,
Présente à l’étonnée un galant de haut style.
Elle s’y connaissait, ne fit la difficile,
Et qu’aurait-elle fait en ce rencontre heureux
Que perdre le moment d’éteindre quatre feux ?
Déjà il avait fait bonne part de l’ouvrage,
L’empêcher d’achever eût été grand dommage.
Quand l’occasion s’offre au devant de nos pas
Il faudrait être fou pour n’en profiter pas
Ils surent la saisir, et deux ans dit l’histoire
La plaque confondit du jaloux le grimoire.
Sa femme en cette chambre y restait tout le jour
Sans avoir d’autre feu que celui de l’amour.
Femme avec son amant est rarement frileuse.
Mais qui peut voir sa vie être toujours heureuse ?
Souvent notre bonheur ne nous plaît qu’à demi,
S’il n’est su tout au moins d’une bonne amie.
Les gens aisés surtout, par valets et servantes
Contraints d’être obsédés, en font des confidentes.
Ces cœurs bas la plupart ont l’esprit de travers,
Et c’est toujours par eux que viennent les revers.
La belle avait alors pour soubrette une peste
Qui par caprice un jour fit un coup de sa tête
Ou s’il l’on s’en rapporte à certain discoureur
Il lui fut suggéré par un sien confesseur
Qui, peu jésuite en l’art de juger du scrupule,
Lui donna sottement le conseil ridicule
D’apprendre un petit mal pour en faire un très grand.
Rendant de ce secret tout Paris confident
Notre opulent jaloux rien moins de philosophe
(Pour l’être un homme riche est de mauvaise étoffe)
Perdant tête à l’aspect du trou cocufial
Fit de son déshonneur dresser procès verbal,
Obligea son épouse à se faire justice
En avouant son crime et le nom du complice.
Sans doute en ce rencontre il fit trop de fracas,
Le conseil de Sosie est très bon en tel cas
Et pour ne point donner sur soi matière à rire,
Il est un sûr moyen, et c’est de ne rien dire.
F.Fr.13659, p.243-48 - F.Fr.15151, p.337-49