Épître des catins de Paris à M. le duc de Chartres

Prince, c’en est donc fait ! Eh quoi, nos plus beaux jours1

Obscurcis à jamais par ton bel édifice

Vont causer les regrets des Ris et des Amours !

Et tu l’as pu penser ! où donc est la justice ?

Ce jardin si vanté, de ton aïeul auguste,

Retraçait à nos yeux l’éclat et la splendeur.

Tu voudrais le détruire ! est-ce ainsi que ton cœur

Va prouver à Paris que ton pouvoir est juste ?

Révoque cet arrêt, et arrêt si bizarre,

Laisse-nous les moyens de fixer les plaisirs ;

Retrace à ton esprit que comblant tes désirs

Chaque soir, à minuit, on te vit moins barbare.

Où pourrons-nous, hélas ! mettre à l’encan nos charmes ?

Ecoute nos soupirs, écoute nos regrets ;

Ton projet accablant flétrit tous nos attraits ;

Que la pitié t’anime et tarisse nos larmes.

Sous ces arbres touffus, à l’ombre du mystère,

Et Plutus et l’Amour couronnaient tous nos vœux.

Les jeunes et les vieux recherchaient à nous plaire,

Payaient cher nos baisers et se croyaient heureux.

Ils sont tous abattus ; il n’est donc plus d’asile.

Sous quelle riche arcade irons-nous désormais ?

Irons-nous raccrocher dans les rues de la ville ?

Quidor à tout moment troublerait notre paix.

Ce suppôt vigilant de la police altière,

Le jour comme la nuit nous déclare la guerre ;

Tandis qu’en ton jardin, trouvant la sûreté,

Il n’osait y troubler notre félicité.

Les catins sur ton cœur n’ont-elles plus d’empire ?

Ecoute le plaisir par lequel tout respire ;

Loge-nous dans ton sein, protège nos ardeurs,

En échange reçois le tribut de nos cœurs.

Partout où tu voudras, au gré de ton ivresse,

Goûte la jouissance au lieu de la tendresse.

Nous bénirons tes jours, illustre protecteur,

Si ton cœur attendri nous donne le bonheur.

• 1Épître des catins de Paris à M. le duc de Chartres sur la destruction qu’il médite du jardin du Palais-Royal