Épître à Monseigneur Jean B… B… sur son livre touchant la comédie
Épître à Monseigneur Jean B… B…
sur son livre touchant la comédie
Docte et sage prélat dont le ciel a fait choix
Pour instruire et former la jeunesse des rois
Et qui par des discours vifs et pleins d’éloquence
Sait confondre l’erreur et bannir l’ignorance,
Je conviens avec toi que des hommes pécheurs
Devraient avoir toujours les yeux baignés de pleurs.
Je sais que l’Évangile en ses leçons divines
N’offre pour le salut qu’un chemin plein d’épines
Et que, loin d’approuver les jeux et les plaisirs,
Il nous en interdit jusqu’aux moindres désirs.
Ainsi la comédie étalant sur la scène
Les appas séducteurs d’une pompe mondaine,
Sans doute est peu conforme à ces vœux solennels
Qu’en naissant un chrétien fait aux pieds des autels.
Ce caractère fier des héros du théâtre
Pourrait être applaudi chez un peuple idolâtre,
Mais disciple d’un Dieu pour nous crucifié
Nous ne devons estimer qu’un cœur mortifié,
Un cœur humble et sans fiel, et dont la vertu pure
Se fasse un point d’honneur d’oublier une injure,
Et préférer de voir ses passions aux fers
À la fausse gloire de dompter l’univers.
Cependant, grand prélat, d’invincibles obstacles
S’opposent au dessein d’abolir les spectacles.
Auprès des souverains l’oisiveté des cours
Malgré tous les sermons les maintiendra toujours,
Et les peuples privés d’un plaisir excusable
Peut-être en chercheraient quelqu’autre plus blâmable.
D’ailleurs tant qu’on verra des prélats fastueux
Elever à grands frais des palais somptueux
Et de leur train pompeux éblouir les provinces,
En fait de mets exquis ne rien céder aux princes,
Contre la comédie en vain l’on écrira.
De ses moralités le public se rira.
Jésus-Christ, dira-t-il, aux riches de la terre
Pendant toute sa vie a déclaré la guerre.
Toutefois un prélat se croit en sûreté
Avec vingt mille écus dont il se voit renté,
Et l’on ne pourra pas à l’hôtel de Bourgogne
Voir le rôle plaisant d’un sot ou d’un ivrogne !
Ou charmé de Corneille au Théâtre-Français
Aller plaindre le sort des princes et des rois !
De quel front ces pasteurs vivant dans l’opulence
Viennent-ils nous prêcher l’esprit de pénitence,
Et comment dans ce siècle osent-ils se flatter
Que l’on subira le joug qu’ils savent éviter ?
Tels, dans l’ancienne loi, les tartufes sévères
Damna le peuple juif pour des fautes légères,
Eux qui, loin des témoins en des réduits cachés
S’abandonnaient sans crainte aux plus honteux péchés.
Voilà, sage prélat, comme chacun raisonne
Et fait une leçon aux docteurs de Sorbonne.
Pour imposer silence, il faudrait réformer
Nombre d’autres abus que je n’ose nommer.
BHVP, MS 602, f°88v-89v - Une copie de ce texte figure dans un manuscrit de la bibliothèque centrale Louis Aragon, de la ville d’Amiens (1-932 Fonds Lescalopier 1-121)
$2114, $7098, $7099 forment un ensemble.