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Le Protocole de Calonne

Le protocole de Calonne1
Chacun vante ses talents2 vit avec les sceaux,
La Croix avec les vaisseaux3 .
J’ai mon protocole, ô gué !
J’ai mon protocole.

Rosny, sévère pédant,
N’aimant que son maître,
Détestait le courtisan,
Comme on hait  un traître :
Autant que lui je les crains,
Mais je leur garnis les mains.

Colbert, à force d’édits,
Sauva la finance ;
Necker, par ses beaux écrits,
Enchanta la France :
Dans un beau discours aussi
J’ai berné Nicolaï4 .

Chez mes devanciers pesants,
Femme ou petit-maître
Jamais qu’en habit décent
N’eût osé paraître.
J’admets, ministre coquet,
Les duchesses en jocquet.

Si l’on  me laisse le temps,
Le bien je puis faire,
Car j’ai le cœur inconstant,
La tête légère.
Pour Dubarry5 j’ai laissé
La Laval6 à d’Harvelay7 .

En promettant cent pour cent8
J’ai séduit la France ;
Mais, au bout de vingt-cinq ans,
Qui paiera la chance ?
Français, que vous êtes bons !
Ou vous, ou moi nous mourrons.
J’ai mon protocole, ô gué !

  • 1« M. de Calonne, en homme de génie, uniquement occupé des fonctions importantes de son ministère, avait négligé jusqu’ici l’étiquette de ses audiences ; les femmes en avaient étrangement abusé, au point qu’on y avait vu la duchesse de Luynes en jocguet ou pierrot, c’est à dire en casaquin. Des amis graves ont fait sentir à M. de Calonne qu’il ne convenait pas de se présenter ainsi chez un ministre du Roi, qu’il devait soutenir, au moins pour ses successeurs, les prérogatives de sa place et traiter la chose moins philosophiquement. En conséquence, ses valets de chambre ont annoncé que dorénavant nulle personne, de quelque rang et qualité qu’elle fût, ne serait admise les jours d’audience, dans les salles et cabinets du contrôle général, qu’en habit décent. Cette sévérité d’étiquette, sur laquelle il s’était relâché d’abord, n’a pas manqué de produire un mauvais effet. Il en est résulté une chanson, suivant l’usage, où l’on cherche à tourner M. de Calonne en ridicule. Il faut avouer que ce vaudeville malin, mieux fait que la plupart de ceux de nos jours, par sa gaîté peut être mériterait de trouver grâce devant le personnage sur lequel il roule, trop homme d’esprit, trop philosophe pour ne pas entendre la raillerie, si le même égard qu’il doit à sa place et aux autres ministres attaqués, et aux femmes de qualité qu’on y nomme, ne le mettait pas dans la nécessité d’en exiger la proscription. Aussi est il sévèrement prohibé. » (Mémoires secrets)
  • 2Mémoires secrets, 1er janvier)[/fn>
    Et son savoir-faire ;
    L’un fait bien le droit des gens,
    Et l’autre la guerre.
    CrispinM. de Miroménil, ainsi nommé au sujet des rôles de Crispin qu’il jouait à merveille chez M. le comte de Maurepas. (M.) (R)
  • 3Nom de famille du maréchal de Castries, ministre de la marine. (M.) (R)
  • 4Lorsque le ministre avait, suivant l’usage, prêté serment à la Chambre des Comptes, il avait prononcé un discours empreint du zèle le plus sincère pour le bien public. Aussi le président de Nicolaï, qui fut dupe de ses belles paroles, lui écrivait‑il : « La Chambre conservera votre discours comme un modèle d’éloquence harmonieuse et mâle, comme un ouvrage qui respire le patriotisme et décèle l’homme d’État. » (R)
  • 5 Il s’agit ici de la jeune comtesse Dubarry, très jolie personne, femme du Roué, que celui‑ci avait poussée chez le ministre des finances. (M.) (R)
  • 6Mme de Laval (Boullogne en son nom), ci‑devant maîtresse en titre de M. de Calonne. (M.) (R)
  • 7Garde du trésor royal. (M.) — M. d’Harvelay, grâce à ses relations avec M. de Vergennes, avait fortement contribué à l’élévation de M. de Calonne qu’il aimait, moins cependant que ne l’aimait Mme d’Harvelay. (R)
  • 8Par l’emprunt de 125 millions, remboursable en vingt-cinq ans, horriblement à charge à l’État, et dont tout le monde se plaignait alors. (M.) (R)

Numéro
$1569


Année
1785




Références

Raunié, X,193-96 - Mémoires secrets, XXXI, 1-6