L'Ane de la foire
L'âne de la foire1
Paris trouve fort à son gré
Le grand voltigeur d'Arcadie ;
L'âne de foire est préféré
Aux ânes de la Comédie ;
A meilleur titre il le sera
Aux bourriques de l'Opéra.
A la foire, Destouches en pleurs2
,
Se plaint que l'Opéra-Comique,
Malgré les soins du directeur,
Échoue auprès d'une bourrique ;
Faut-il qu'un si sot animal
En mette tant à l'hôpital !
A la foire tout Paris va,
Pour voir l'âne de la Saint-Edme3
;
Pour ceux du Comique Opéra,
On ne s'empresse pas de même.
L'un pourtant n'est qu'un faux baudet,
Les autres le sont en effet.
0 temps, ô moeurs! où sommes-nous?
Que ce siècle offre de quoi rire !
Combien de folles et de fous
A la foire un seul âne attire ;
Tel qui court le voir aujourd'hui
Est beaucoup plus âne que lui.
Autrefois Paris admira
Corneille, Racine, Molière ;
Lulli, dans son moindre opéra,
Trouvait le grand art de lui plaire.
Ces grands hommes du temps passé
Par un baudet sont remplacés.
- 1Sur l’âne artificiel de la foire Saint‑Germain. (M.) (R)
- 2Philippe Néricault‑Destouches, poète comique, membre de l’Académie française (1680‑1754) n’était connu à cette époque que par l’Ingrat, le Médisant et l’Irrésolu, pièces assez faibles, mais qui attirèrent sur lui l’attention du Régent, et lui valurent le poste de secrétaire de Dubois. (R)
- 3Marie Duchemin et son mari Louis Gautier de Saint-Edme, entrepreneurs de spectacles forains établis depuis 1711 à la foire Saint‑Germain, y dirigeaient un théâtre fort goûté du public. (R)
Raunié, III 62-64 - Clairambault, F.Fr.12697, p.152-54 - Maurepas, F.Fr.12629, p.367-68 - Mazarine Castries 3982, p. 241-43