Tocsin
Tocsin
Méprisables sujets, populace imbécile !
Que te faut-il encor pour échauffer ta bile ?
Ta femme, tes enfants, tes amis accablés,
Ta honte, tes malheurs ne sont-ils pas comblés ?
Ton sort à chaque instant devient plus misérable.
Stupide, qu’attends-tu d’un ministre exécrable ?
Ce monstre affreux qui vit, et qui vit à tes yeux,
Cet étranger, nourri du sang de tes aïeux,
Cet insecte acharné qui t’arrache la vie,
Ne peut de l’écraser te faire naître envie !
Tu le souffre en son char, avec son air altier,
Ce scélérat chassé de l’univers entier.
Maudite nation, faible troupeau de dindes,
Regarde les beaux fruits des actions des Indes :
On se tue à la Banque1
, on égorge ton roi,
C’est son sang et le tien qu’on répand sans effroi.
Le Régent, son vautour et la Banque fermée,
La Ville2
rétablie et toujours supprimée,
Tes trésors enlevés, ton état confondu,
Tes billets périssants, pour toi tout est perdu.
Tu le sens, tu le dis, tu te plains, tu soupire.
Est-ce fidélité, n’est-ce pas un délire ?
Lâche, aveugle Français, trop soumis citoyen,
C’est pour ma seule gloire et non pas pour ton bien,
Que j’aspire au succès d’une triste victoire
Péris si tu le veux, j’établis ma mémoire
J’ai perdu mon repos, mon or et mon argent,
Je tuerai, oui, j’en jure, et Law et le Régent3
.
- 1« Le peuple manquant de pain et d’argent, se précipitant en foule aux bureaux de la Banque pour échanger en monnaie des billets de dix livres, il y eut trois hommes étouffés dans la presse. Le peuple porta leurs corps morts dans la cour du Palais‑Royal, en se contentant de crier au Régent : « Voilà le fruit de votre système. » Cette aventure aurait produit une sédition violente et commencé une guerre civile du temps de la Fronde. Le duc d’Orléans fit tranquillement enterrer les trois corps. Il augmenta le nombre des bureaux où le peuple pourrait avoir de la monnaie pour des billets de banque. Tout fut apaisé. » (Voltaire.) (R)
- 2Les rentes de l’Hôtel de Ville. (R)
- 3Ces menaces farouches ne doivent pas surprendre étant donnée l’exaspération publique ; elles se renouvelèrent même fréquemment, mais sans être suivies d’aucun effet. On lit dans Barbier : « J’ai appris par deux personnes différentes qu’on avait jeté dans les carrosses des billets burinés où il y avait : Sauvez le roi, tuez le tyran et ne vous embarrassez pas du trouble. » Et dans la correspondance de Madame : « J’ai reçu depuis huit jours plusieurs lettres où l’on me menace de me brûler à Saint-Cloud et de brûler mon fils au Palais‑Royal. — Mon fils a été aimé, mais depuis l’arrivée de ce maudit Law, il a été de plus en plus haï ; il n’y a pas de semaine où je ne reçoive par la poste des lettres remplies d’affreuses menaces où mon fils est traité comme le plus scélérat des tyrans. » (R)
Raunié, III,205-06 - Clairambault, F.Fr.12697, p.427-28 - F.Fr.9352, f°85 - BHVP, MS 670, f°48v-49r