Les Malheurs de la Régence
Les malheurs de la Régence
Qu’au roi d’Espagne le Régent
Déclare une mortelle guerre1
,
Qu’il répande tout notre argent
Dans les couvents de l’Angleterre ;
Qu’en Sicile le Savoyard
Soit chassé plus tôt ou plus tard2
;
Pour pénétrer ce beau dessein,
Il ne faut pas être devin.
Qu’il fasse fourrer en prison,
Quelques jaseurs, à la bonne heure3
!
Qu’au lieu d’Amboise, qu’à Meudon,
Sa fille fasse sa demeure4
;
Qu’elle ait épousé de Riom5
,
Ou qu’il ne soit que son mignon.
Qu’à son rang elle ait peu d’égard,
C’est à quoi l’on prend peu de part.
Mais que Nocé soit favori6
,
Et qu’il ait fait Dubois ministre7
,
Que le public en soit marri
Comme d’un augure sinistre ;
Qu’on voie partout des bannis,
Et tant d’honnêtes gens punis;
C’est ce qui cause nos malheurs.
Qu’avec hauteur et dureté,
Qu’on nomme autorité royale,
Et qu’on traite de fermeté
Chez les roués de la cabale,
On écrase le Parlement ;
Culbute le gouvernement ;
Celui qui détruit la maison,
Doit craindre le sort de Samson.
Mais que Law et d’Argenson,
Mènent à leur gré la finance8
;
Qu’on ne paye pas un teston,
Malgré des écus l’abondance ;
Que ministres et favoris,
Rongent la campagne et Paris ;
Par ma foi, si j’en étais cru,
L’on en verrait plus d’un pendu.
Que le pape, dans sa fureur,
Nous maudisse et excommunie ;
Qu’il nous menace de malheurs
Dès ce monde et dans l’autre vie ;
Ne serait-il point l’Antéchrist ?
Force docteurs depuis longtemps,
L’ont tenu du moins pour constant.
Que ferons-nous, mes chers amis ?
Dans cette effroyable détresse ;
Dans l’état où l’on nous a mis,
Tomberons-nous dans la tristesse ?
Non, soyons fermes, espérons,
Que tous nos malheurs finiront,
Pourvu que le roi en santé,
Sorte de sa minorité.
- 1La conspiration ourdie contre le Régent par le ministre espagnol Albéroni fut découverte le 9 décembre 1718, et provoqua la rupture depuis longtemps imminente entre la France et l’Espagne. Au commencement du mois, Barbier écrivait déjà : « La guerre est prête à se déclarer. » (R)
- 2Les traités d’Utrecht avaient donné à Victor‑Amédée II, duc de Savoie, la couronne de Sicile. Mais il entrait dans les plans d’Albéroni de conquérir l’île, et dès le 30 juin 1718 une troupe espagnole avait attaqué Palerme. (R)
- 3Les trois membres du Parlement emprisonnés au mois d’août. (R)
- 4« Le roi étant fort jeune et avec beaucoup de belles maisons et Mme la duchesse de Berry, veuve et sans enfants, elle eut envie d’avoir Meudon, et l’obtint de M. le duc d’Orléans en échange du château d’Amboise qu’elle avait pour habitation par son contrat de mariage. Cette espèce de présent ne laissa pas de faire du bruit. » (Saint-Simon.) (R)
- 5Le témoignage de la princesse palatine ne laisse aucun doute à cet égard. « Le mariage de la duchesse (de Berry) avec la tête de crapaud (de Riom) n’est malheureusement que trop vrai, écrit‑elle ; ce n’est point d’ailleurs un mauvais gentilhomme ; il est allié aux meilleures maisons ; le duc de Lauzun est son oncle et Biron son neveu ; mais avec tout cela il n’était pas digne des honneurs qui lui sont survenus. » La duchesse tourmenta violemment son père pour que le mariage fût déclaré ; le Régent, pour gagner du temps, envoya à l’armée ce gendre qui lui était odieux, et sur ces entrefaites la duchesse mourut (1719). (R)
- 6 La faveur de Nocé ne fut pas de longue durée, Dubois, devenu tout‑puissant, eut soin d’éloigner tous les familiers du Régent. « Il fit exiler le comte de Nocé comme un des auteurs de sa fortune et qui par là méritait sa disgrâce… Le Régent respectait la mémoire du père, et s’amusait fort de l’esprit caustique et plaisant du fils. Mais c’était par là qu’il déplaisait au cardinal qui, depuis leur désunion, car ils avaient été fort unis, était devenu l’objet de ses plaisanteries et qui en redoutait l’effet dans une cour où les saillies valaient des raisons. » (Duclos.) (R)
- 7Les conseils supprimés, Dubois avait été nommé secrétaire d’État des affaires étrangères. (R)
- 8La banque de Law venait d’être transformée en Banque royale le 4 décembre. (R)
Raunié, III,106-10 - Clairambault, F.Fr.12697, p.45-47