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Le Conseil de Régence

Le conseil de Régence1
Célébrons tous joyeusement
Le glorieux gouvernement,
Lon lan la derirette,
Dc nos princes, du ciel chéris,
Lon lan la deriri.

Quand ils se trouvent au Conseil,
Aucun d'eux n'y voit son pareil ;
Dont chacun en soi s'applaudit.

L'aveugle a le rang au-dessus,
Le borgne suit, puis le bossu ;
Un boiteux y prend place aussi2 .

Le Régent gouverne à tâtons,
Noailles lui sert de bâton,
Et c'est par lui qu'il se conduit,

Ne disons rien de l'amiral3 ,
Car il ne fait ni bien ni mal ;
Quelquefois il est applaudi.

Après eux vient le chancelier4 ,
Qui se pique de bien parler ;
On ne sait souvent ce qu'il dit.

Les pairs, dont parle chaque édit,
Et les autres notables aussi,
Paraissent dans le rang qui suit.

D'abord est le petit Simon5 ,
Qui tout d'un coup est furibond
Quand il entend un sot avis6 .

Près de lui le grand maréchal,
Dont la perruque est le signal
De ce qu'il blâme ou applaudit.

Le Tallard7 , en vieux courtisan,
Voudrait observer le Régent ;
Mais il ne voit pas jusqu'à lui.

Ainsi qu'un sanglier couru,
Le gros Bezons8 , toujours bourru,
Est du dernier avis qu'on dit.


Vient le relaps impénitent9 ,
Qui voudrait bien faire l'important
Et que tout pût passer par lui.

Le Pelletier10  d'un air pédant,
Vient marmotter entre ses dents :
Il n'y a personne au logis.

Torcy11 veut toujours jaboter;
Le conseil, las de l'écouter12 ,
Ne fait nul cas de ce qu'il dit.

On voit un petit potiron13
Qui griffonne sur un chiffon
Toutes les sottises qu'on dit.

Ce beau conseil est terminé
Par une momie d'usurier14
Lon lan la derirette,
Qui s'est placé là par dépit.
Lon lan la deriri.

  • 1Autre titre: Chanson sur tous ceux qui composent le conseil de Régence (Arsenal 2961)
  • 2Le Régent, le duc de Bourbon, le prince de Conti et le duc du Maine. (R)
  • 3 Le comte de Toulouse, grand amiral de France. (R)
  • 4 D’Aguesseau, devenu chancelier, avait succédé à Voysin comme membre du Conseil de régence. (R)
  • 5Le Régent avait voulu placer Saint‑Simon d’abord au Conseil des finances, puis au Conseil du dedans ; mais Saint‑Simon refusa. « Il n’y a plus qu’une place qui vous convienne, lui dit‑il alors, et qui me convient fort aussi ; c’est que vous soyez du Conseil où je serai, qui sera le Conseil suprême ou de régence. » Et cette fois Saint-Simon accepta. (R)
  • 6Et tout après se radoucit (BHVP)
  • 7Le maréchal de Tallard, nommé membre du Conseil de régence, n’y fut admis qu’en 1717. « Il mourait à petit feu de n’être rien, dit Saint‑Simon, et périssait entre la politique et la rage. Il voulait, disait‑il, dans les commencements, porter écrit sur son dos le testament du feu roi, et il se retira à la Planchette, près Paris, d’où ses inquiétudes et l’ennui le ramenèrent au bout d’un an. Le Régent crut se rallier un groupe de gens considérables en levant l’excommunication civile sous laquelle Tallard gémissait, qui, n’allant presque jamais au Palais‑Royal, fut ainsi admis comme tout à coup au Conseil de régence. Sa joie fut si grande qu’elle en parut indécente. » (Notes sur Dangeau) (R)
  • 8Jacques de Bezons, maréchal de France, frère de l’archevêque de Bordeaux, avait su gagner les bonnes grâces du Régent. « Il avait pris du goût pour lui ; son air rustre lui paraissait simplicité et franchise ; ses gros traits, sa grosse perruque, une bonne tête. Il était soutenu du marquis d’Effiat et d’un bas intérieur de valets. On fut tout étonné qu’au moment de la formation du Conseil de régence il fût nommé pour en être. C’était une mule et pis ; car sa faiblesse, sa peur, ses ménagements et son défaut de lumières étaient extrêmes et demeurèrent bientôt à découvert. » (Notes sur Dangeau.) (R)
  • 9Bouthillier de Chavigny, ancien évêque de Troyes. Il avait d’abord mené une vie dissipée et brillante, puis rentra dans son évêché pour faire pénitence ; mais après la mort de Louis XIV, sa nomination au Conseil de régence le ramena à la cour, et le mondain d’autrefois reparut. « Ses avis perdaient de leur poids par leur variété. Il voulut plaire, il voulut pouvoir, il voulut éviter les obstacles ; en deux mots, il redevint homme du grand monde et de la cour. La réputation tomba, la considération s’en alla ; il ne resta plus que l’amusement. » (Ibid.) (R)
  • 10Le Pelletier de Souzy, membre du conseil des finances, n’entrait d’abord au Conseil de régence que lorsqu’il s’agissait d’affaires financières ; mais en mars 1717 le Régent le nomma membre de ce Conseil. « Il avait partout une des plus délicates tables de la cour et la fleur de la bonne compagnie de la cour et de la ville ; il avait passé sa vie dans le commerce du plus grand monde et avec une plus grande considération. Aussi entreprit‑il plus qu’il ne put porter. » (Ibid.) Il donna sa démission à plus de quatre‑vingts ans et se retira à l’abbaye de Saint-Victor. Le Pelletier des Forts, dont il a été plusieurs fois question ci‑dessus, était son fils. (R)
  • 11« M. de Torcy entra au Conseil de régence au second ou au troisième qui fut tenu, parce que M. le duc d’Orléans voulut que M. de Torcy l’y précédât. » (Notes sur Dangeau.) (R)
  • 12Mais souvent las de l'écouter / On compte pour rien ce qu'il dit.
  • 13 La Vrillière, qui remplissait les fonctions de secrétaire du Conseil de régence. « Sa taille, singulièrement petite, était ridicule par ses soins de la rehausser ; comme il n’était presque rien et de rien du tout du temps du feu roi et que son père, Châteauneuf, n’avait pas été davantage, sa considération était très légère ; aussi fut‑on fort surpris de sa fortune. ; […] Il obtint voix délibérative au Conseil, non sans grand murmure, et peu à peu il s’éleva fort, à force de remplir toutes les fonctions qui restaient aux secrétaires d’État. » (Ibid.) (R)
  • 14Pontchartrain, remboursé de sa charge de secrétaire d’État, figurait au Conseil de régence sans fonction et sans voix. « Accoutumé à régner sous le feu roi et despotiquement avec la verge de fer dans tout son département, et à dominer partout ailleurs avec tout l’empire, la rudesse et l’insolence d’un écolier mal né, devenu tout à coup régent de sa classe, il était tombé dans l’abattement qui succède à l’enflure, et dans toutes les bassesses qu’il crut le pouvoir soutenir. Il était presque aussi détesté qu’il était détestable et qu’il s’était délecté à se faire sentir tel à chacun ; jusqu’en faisant plaisir, il avait le talent d’offenser. Il n’était donc plaint de personne et végétait en nulle, sans voix au Conseil de régence, et sans quoi que ce soit à faire chez lui. » (Notes sur Dangeau) On l’accusait de concussion ; de là la qualification d’usurier dont on le gratifiait. — Bien qu’un Recueil manuscrit indique ici, en note, d’Effiat, nous croyons fermement qu’il s’agit de Pontchartrain. (R)

Numéro
$0183


Année
1717 (Castries)




Références

Raunié, II,195-99 - Clairambault, F.Fr.12696, p.297-300 (incomplet) -Maurepas, F.Fr.12629, p.101-05 -  F.Fr.9351, f°265v-266r - F.Fr.12500, p.218-20 - F.Fr.12673, p.347-53 - F.Fr.15131, p.245-50 - NAF 2483, p.146-47 - Arsenal 2930, p.321-26 - Arsenal 2937, f°129r-130r - Arsenal 2961, p.441-45 - Arsenal 2975/3, p.148 - Arsenal 3115, f°193v-195r - Arsenal 3132, p.335-38 - Mazarine, MS 2163, p.419-24 - Mazarine Castries 3982, p. 259-263 - BHVP, MS 547, (non numéroté) - Lyon BM, MS 1675, f°20r-21r - Pièces libres de M. Ferrand (Londres, 1738) éd. de 1747, p.119-22 - Barbier-Vernillat, III, 67-68


Notes

1720 selon Arsenal 2930.