L’attelage du Trésor1
Chers amis, le fier attelage !
Six chevaux écumant de rage
Du Trésor traînent le convoi2 .
Le nouveau Phaeton les mène,
Et promet, en servant le roi,
De ne rien prendre pour sa peine.

L’un d’eux dont la bouche égarée
Contre le mors s’est révoltée
Menace de culbuter tout ;
Mais le cocher, prudent et sage,
Lui mit la bride sur le cou,
N’osant le rêner davantage.

L’autre, par mauvaise habitude,
Se trouve avoir la bouche rude.
Je ne sais quel est son dessein,
Car jamais aucun de sa race
Ne s’est armé contre le frein.
D’où lui viendrait donc cette audace ?

Ces deux monstres, fils d’Hippocrate3 ,
Loin de guérir les maux de rate,
Nous causent mainte oppression,
Et par leurs fougueuses ruades
Font aujourd’hui profession
De faire beaucoup de malades.

Celui-ci, souple à la férule,
Comme on veut avance ou recule,
Quoiqu’il soit fier de son harnais.
Pour éviter tous cas sinistres,
Son père lui a dit cent fois :
« Sois toujours ami des ministres. »

Cet autre conçoit l’espérance
D’être un cheval de confiance,
Car il est doux comme un mouton.
Pour plaire au cocher qui le mène,
Il s’est façonné, ce dit-on,
Qu’à tirer il n’a plus de peine.

Croyez-vous que l’allégorie,
Mes chers amis, soit bien suivie ?
Non: pour finir cette chanson,
Je n’aurai pas assez de chance,
Car il nous faut un postillon…
Prenons le Régent de la France.

• 1Autre titre : Chanson sur les six commissaires de la chambre de justice (Arsenal 2975/3)
• 2Les personnages auxquels il est fait successivement allusion dans cette pièce sont : le duc de Noailles, Rouillé, Des Forts, Fagon, Fourqueux, Lamoignon et Portail. (R)
• 3Le plus grand médecin de l’antiquité. — Les deux monstres en question sont : Fagon, fils du premier médecin de Louis XIV, et Fourqueux, petit‑fils du premier médecin de Louis XIII. (R)