La Fermeture des portes du Luxembourg
La fermeture des portes du Luxembourg
Pourquoi donc fermer la porte
De l’aimable Luxembourg1
?
Critique, que vous importe ?
C’est qu’il plaît au Dieu d’amour.
Laissez là donc ce mystère,
Sans y creuser trop avant ;
Vénus ferme le derrière,
Mais elle ouvre le devant.
Il n’est donc plus qu’une porte
A l’aimable Luxembourg ;
Vénus, que le diable escorte,
Vient de nous jouer ce tour.
Pour punir cette déesse,
Il faudrait boucher le trou
Par où Cupidon s’empresse
De lui passer son bijou.
On dit que l’heure incommode
Qui ferme le Luxembourg,
Ouvre, suivant la méthode,
Le jardin du tendre amour.
C’est là que Vénus arrose,
Dans les transports les plus doux,
L’avide fond d’une rose,
Le plus cher de ses bijoux.
On voudrait, suivant l’exemple
De Vénus au Luxembourg,
Fermer de même le temple
Qu’elle ouvre au lubrique amour.
D’une entreprise si belle
J’ai le bon sens altéré ;
Quoi ! fermer une chapelle
Dont tout le monde a la clef !
C’est à tort que l’on s’écrie
Contre ma vive chanson :
Cette nuit une furie
M’en a soufflé le poison.
Aucun remords ne me presse,
Calmez-vous, mes chers amis :
Si c’est en dormant qu’on pèche,
Je rêvais quand je la fis.
- 1La duchesse de Berry avait fermé la porte du jardin du Luxembourg à plusieurs honnêtes gens, hommes et femmes, qui s’y promenaient entre neuf heures et dix heures du soir et auxquels elle fit passer la nuit sans égard à toutes les prières qu’on lui fit. (M.) Duclos dit à ce sujet : « Pour passer les nuits dans les jardins du Luxembourg avec une liberté qui avait plus besoin de complices que de témoins, la duchesse de Berry en fit murer toutes les portes, à l’exception de la principale, dont l’entrée se fermait ou s’ouvrait à l’occasion. » — Les Mémoires de Richelieu expliquent le fait d’une autre manière : « Les discours qu’elle tenait un soir dans le jardin, en se promenant avec les dames de Mouchy, de La Rochefoucauld et d’Arpajon, engagèrent quelques clercs de procureurs à les injurier en les accostant ; elles, curieuses de savoir jusqu’où se porterait cette audace, répondirent aux agresseurs par des éclats de rire, mais les clercs annonçant impudemment ce qu’ils désiraient, elles crièrent au secours et appelèrent les Suisses, qui parurent sur‑le‑champ et délivrèrent ces dames. Mme de Berry se crut obligée de fermer son jardin, ce qui excita un murmure général, parce qu’on n’en sut pas sur‑le‑champ la véritable cause. » La duchesse fit rouvrir les portes en 1719, après son accouchement, pour se faire pardonner le scandale qu’elle avait causé ; le public fut bien aise de cette mesure et en profita, mais ne lui en sut aucun gré. (R)
Raunié, II,41-44 - Clairambault, F.Fr.12696, p. 219-20 - Maurepas, F.Fr.12629, p.27-28